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Blog - Page 14

  • La carte postale du jour...

    "Peut il y avoir une lumière née du soleil et de l'usure."

    - Philippe Jaccottet, Paysages avec figures absentes

    dimanche 15 novembre 2015.jpg

    Je me souviens de cette reprise de Transmission de Joy Division par Low ; faussement paresseuse et réellement raffinée, sa lenteur cherchait la beauté dans le détail et la suspension.

    Je me souviens bien que ce groupe m'a toujours étonné par sa longévité, sa constante discrétion qui les rapproche de la non-création ; n'éprouvant jamais le besoin ou le devoir de donner des preuves de son statut artistique, un peu comme l'auteur, dont Flaubert explique qu'il doit, "dans son œuvre", "être présent partout, et visible nulle part."

    Je me souviens aussi à quel point j'ai été touché par certains textes de cet album - Ones and Sixes -, et principalement avec ce Lies, dont j'adore la mélancolie et surtout la mise en abîme finale : 

     

    When they found you on the edge of the road
    You had a pistol underneath your coat
    But it all started back in '79
    Your mother used to work from sunset to 5
    And when you knew enough to know where to go
    You said you wanted to be out on your own
    Why don't you tell me what you really want
    Instead of making up the same old lies, lies, lies

    You say you must be going out of your mind
    And I can see you when I look in your eyes
    You're always talking on the end of your tongue
    And sweep the ashes underneath the rug
    You swear you're having just the time of your life
    You've got it wrapped in pretty papers and white
    Why don't you tell me what you really want
    Instead of making up the same old lies, lies, lies
    Lies, lies, lies
    Lies, lies, lies

    Oh, baby, we gotta go
    The shadow's taking its toll
    We're not winning anymore
    Time is keeping score
    It's the blind leading the blind
    One can handle the night
    Oh, it's not what I wanna say
    But I'll say it anyway

    When I saw you on the edge of the road
    You had a pistol underneath your coat
    I should be sleeping by your lonely side
    Instead of working on this song all night

    https://www.youtube.com/watch?v=S182S04Sy9U

     

    Alain Nadaud nous quittait cet été, mais il avait déjà quitté la scène littéraire en 2010 avec son magnifique "D'écrire j'arrête", où devrais-je plutôt dire : il avait "presque" quitté la scène littéraire en 2010. En effet, ce sympathique imposteur nous envoyait encore de ses nouvelles avec ce Journal du non-écrire, en 2014 ; journal qui n'était ni un roman, ni un essai, ni vraiment un journal d'ailleurs... mais un grand livre d'Alain Nadaud, ce qui n'est pas rien, même si bon nombre ne le connaissaient pas, ne le connaissent pas, et, probablement, ne le connaitront jamais. Ses réflexions à la troisième personne donnait un portrait tout de gris d'un auteur désabusé, qui s'éloignait peut-être de son œuvre, déçu par la littérature, et qui faisait maintenant le choix de la retraite dans la vie sans l'écrit. Comme il le notait "un matin (...) j'avais cessé d'y croire" - après avoir touché le néant par la littérature, Nadaud avait choisi la mort fictive. Il s'était raturé à jamais, retiré du circuit, des alliances et des complicités ; il se rayait lui-même du registre des inscriptions et belles lettres - il pouvait savourer cette gloire en secret. Je la savoure avec lui. Ce journal est une fin de non-recevoir, l'œuvre de Nadaud tend vers le silence. Un silence assourdissent qui se noie dans le bruit du monde, mais n'en reste pas moins présent, en profondeur.

     

    Extrait de Journal du non-écrire, d'Alain Nadaud (aux éditions Tarabuste) :

     

    "Il s'était aperçu qu'il avait vécu dans un état de véritable sujétion vis-à-vis de l'écriture. Comme un prêtre fanatique. Un zélote. Un idolâtre qui se sacrifie à son idole, non pas faite de boit, de pierre ou d'os, mais d'encre et de papier : dans son temple, dont la bibliothèque labyrinthique imaginée par J.-L. Borges est le modèle, s'entassait la totalité des livres écrits depuis les commencements des temps, et à écrire jusqu'à la fin des siècles.

     En arrêtant d'écrire, il avait coupé court à cette fantasmagorie. Il avait entamé une cure de désintoxication douloureuse, pleine de doutes et d'austérités, à laquelle rien n'était susceptible d'échapper. Peut-être la disparition de ses certitudes en la toute-puissance de l'écriture, de l'abnégation que supposait cette pratique, de cette morale même qu'elle induisait le rendaient-elles mieux apte à démonter les mécanismes insidieux et pervers de la croyance, à aborder de front la question de l'absence radicale de Dieu.

    Pour retrouver le chemin de l'écriture après une déception pareille, il lui aurait fallu un enjeu de taille : à l'image par exemple de la lutte de Jacob avec l'Ange. Ou de ce Maldoror qui ne craignait pas d'outrager la figure même de Dieu."

     

     

     

     

  • La carte postale du jour...

    "La mélancolie aux dents de brouillard ne sait mordre que dans du clair de lune. Et nous sommes en plein midi."

    - René Crevel, Les pieds dans le plat

    dimanche 8 novembre 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir découvert Teho Teardo par sa collaboration avec Blixa Bargeld (du groupe allemand Einstürzende Neubauten) il y a de cela quelques années à peine, et j'avais trouvé que ses compositions, oscillant entre post-rock mélancolique et musique contemporaine classique - qui me rappelaient d'ailleurs furieusement le morceau The Garden des Neubauten avec sa mélodie lancinante au violon, s'animant en crescendo et se démultipliant dans des éclats sonores hypnotiques -, collaient parfaitement aux textes néo-dadaïstes de Blixa.

    Je me souviens bien d'avoir littéralement sauté sur ce vinyle lorsque j'appris sa parution - une merveille.

    Je me souviens aussi d'avoir vite remarqué que l'un des titres de cette vrai fausse musique pour films s'intitule Hôtel Istria, celui-là même où logèrent Man Ray, Duchamp, Picabia ou encore Aragon, et de m'être dit qu'à mon prochain passage à Paris (dans une semaine) j'irais sans doute y faire un tour...

     

    https://www.youtube.com/watch?v=X-c_CIHxcDQ

     

    Voilà un bel essai sur les esthètes guerriers : ces poètes engagés, alors en rupture avec le désordre établi suite à la première guerre mondiale ; enfants de D'Annunzio, Jünger et T.E. Lawrence, ils se nommaient René Crevel, Auden, Klaus Mann, et s'opposaient, comme le disait J. de Fabrègues dans un numéro de la Revue du Siècle datant de 1934 "contre l'égoïsme obtus du monde bourgeois-libéral, contre le matérialisme économique et spirituel, contre l'impuissance d'une politique sans esprit et sans âme, (...)" Ils périront les armes à la main, aux commandes d'un avion ou d'une balle dans la tempe, habités par un désespoir aussi grand que leurs idéaux d'un nouvel ordre lyrique, d'une révolte décadente contre la décadence, de la tentation de l'absolue liberté, de l'avènement d'un nouvel homme et d'un âge d'or non pas passé, mais futur, voir - encore mieux - : présent. Des idéaux destinés à être broyés par la machine guerre qui se remet en route, d'abord en Espagne, puis dans toute l'Europe dès 1939. Des idéaux que l'on retrouve dans les années soixante, comme le note Hakim Bay dans son essai T.A.Z., qui lie la pensée subversive, déjà élaborée à Fiume en 1919 par D'Annunzio et ses adeptes, aux mouvements de jeunesse, la "contre-culture" (même si celle-ci est depuis longtemps devenue, malheureusement, uns niche du capitalisme ultra-libéral), celles des hippies aux anarchistes nihilistes, des punks, du squat en passant par les rave-party - tous donnent bien souvent la priorité à la vie en groupe, le refus de l'aliénation urbaine, la tentative de créer des économies alternatives, la circulation des drogues, la liberté sexuelle, etc. Maurizio Serra permet, grâce à son travail précis et soigné, de redécouvrir l'esprit de cette jeunesse des années 30, riche de ses paradoxes, esprit qui survit encore de-ci delà, en Europe et ailleurs.

     

    Extrait de Une génération perdue - Les poètes guerriers dans l'Europe des années 1930, de Maurizio Serra (paru aux éditions du Seuil 2015) :

     

    "Dans une autre vie, une autre œuvre, interrompue au seuil de la maturité des temps gris de l'immédiat après-guerre, quand l'intellectuel croit combler, par l'engagement, l'angoisse d'être relégué : "Certaines cultures végètent à un degré inférieur de l'histoire, confie Cesare Pavese peu avant son suicide ; pour elles le problème de mûrir, d'atteindre à ce viril instant tragique qu'est l'équilibre entre l'individu et le collectif, correspond à celui qui se pose pour l'anarchiste rebelle en culottes courtes : grandir en héros tragique, conscient de l'histoire."

     Ce jugement traduit le climat d'un époque où la culture suscitait des passions qui étaient, en retour, le reflet de son pouvoir d'effraction. Si elle ne conciliait, ou ne réconciliait pas, elle pouvait au moins provoquer les réflexions des uns et les contre-réflexes des autres - jusqu'à l'excès.

     Alors les esthètes armés sont partis, coupables d'avoir deviné que l'Europe s'apprêtait à hypothéquer sa propre histoire pendant des générations. Oui, Cantimori avait vu juste. Que nous ont-ils donc légué, par delà le long purgatoire auquel les a condamnés l'après-guerre ? Qu'est-ce qui nous autorise à les lire ou les relire aujourd'hui, à retracer leur parcours, à les considérer à nouveau comme actuels, malgré ce qui sépare le monde des années 30 du nôtre ? C'est que, même là où il s'exprima dans le désordre et l'incohérence, et culmina dans les luttes fratricides, le témoignage de cette génération perdue, la dernière peut-être qui puisse se définir comme réellement et idéalement "européenne", demeure authentique et profondément humain."  

  • La carte postale du jour...

    "Il est un âge où l’on enseigne ce que l’on sait ; mais il en vient ensuite un autre où l’on enseigne ce que l’on ne sait pas : cela s’appelle chercher. Vient peut-être maintenant l’âge d’une autre expérience : celle de désapprendre, de laisser travailler le remaniement imprévisible que l’oubli impose à la sédimentation des savoirs, des cultures, des croyances que l’on a traversées. Cette expérience a, je crois, un nom illustre et démodé, que j’oserai prendre ici sans complexe, au carrefour même de son étymologie : Sapienta : nul pouvoir, un peu de sagesse, un peu de savoir et le plus de saveur possible."

    - Roland Barthes, Leçon

    dimanche 1 novembre 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir d'abord possédé cet album en format cassette, qu'il fallait sans cesse tourner dans l'autoradio de ma mère, et d'avoir rapidement discerner ce son de basse que je retrouvais aussi chez les Cure et qui avait sur moi un effet presque hypnotisant.

    Je me souviens bien que la pochette de cet album de New Order est emblématique parce Peter Saville, leur designer attitré, avait utilisé une reproduction du tableau Une corbeille de roses de Fantin-Latour à laquelle des carrés de couleur sont ajoutés (sur le verso, par exemple, on peut ainsi lire le numéro de catalogue du disque : FAC75), et qu'aucune information au sujet du titre de l'album - Power, corruption & lies - ou du groupe n'apparaissait autrement que sous ce code couleur, ce qui rend cette pochette de disque mythique, à tel point qu'elle se retrouva sous forme de timbre édité par la poste britannique, en 2010 (même si finalement, en terme de code couleur, Peter Saville a presque fait plus fort sur l'album From the hip de Section 25, en 1984).

    Je me souviens aussi que cet album, charnière dans la carrière du groupe de Manchester, est celui de l'émancipation, de la recherche d'une pop moderne et du passage à la lumière après être resté dans l'ombre suite au décès tragique de Ian Curtis, un disque où les musiciens sortent du frigo dans lequel le producteur Martin Hannett les avait confiné (Movement), produisant eux-mêmes un album très inégal, certes, mais so 80s et qui contient par ailleurs mes trois titres préférés de New Order, à savoir la chanson d'ouverture, Age of consent, le très kraftwerkien Your silent face - placé au centre l'album tel un pilier -, et dernier titre de l'album qui le clôt ainsi en beauté en revenant à un son plus Joy Divisionesque sans tomber dans la caricature - bien au contre -, le très mélancolique et entêtant Leave me alone :

     

     

    "On a thousand islands in the sea
    I see a thousand people just like me
    A hundred unions in the snow
    I watch them walking, falling in a row
    We live always underground
    It's going to be so quiet in here tonight
    A thousand islands in the sea
    It's a shame."

    https://www.youtube.com/watch?v=JEJpmDUMKco

     

    Depuis presque vingt ans, les éditions du Mot et le Reste publient, principalement, des ouvrage dédié à la musique. On leur doit plein d'excellent titres comme Back in the USSR qui donnait à lire et à entendre un bref panorama du rock et de la contre-culture dans la Russie soviétique ou bien le fameux Covers, qui se penche sur l'art de la reprise dans le milieu pop/rock. L'éditeur propose aussi des manuels, ou plutôt des guides, pour faire le tour d'un genre, d'un style, d'une époque, d'une tendance musicale, à travers un nombre de disques dont les chroniques sont autant de clés de compréhension et d'invitation à la (re)découverte ; et voici enfin le tour de l'indie-pop avec des dates biens choisies puisqu'il s'ouvre en 1979 sur Unknown Pleasures (Joy Division) et se ferme avec Ok Computer (Radiohead) en 1997. Jean-Marie Pottier connaît très bien son sujet (voir la riche bibliographie utilisée en fin d'ouvrage), et il apporte une touche très particulière à son ouvrage en incorporant à ses savantes chroniques des anecdotes concernant les groupes ou leurs disques, des citations, parfois assez drôles et souvent très éclairantes. Il met en lumière le travail d'agitateurs irresponsables que sont les directeurs de labels indépendants. Grâce à cette sélection de 100 albums chroniqués dans l'ordre chronologique, ce livre est un voyage dans le son et l'histoire de la musique pop indé', un cheminement qui n'est pas rectiligne mais passe bien sûr par les chemin de traverses où l'on croise le post-punk-funk hybride d'A Certain Ratio en 1980 puis les envolées gothiques des Cocteau Twins en 1984 pour, vers la fin, bifurquer sur la pop baroque et littéraire de Divine Comedy et son album de 1993 : Liberation. Certains choix sont discutables, évidement - moi j'aurais plutôt mis LC de Durruti Column, leur deuxième album plutôt que le premier, et je m'étonne de trouver dans ce livre des groupes qui me semblaient de moindre importance comme Stockholm Monsters ou The Wake ? mais, au final, ça permet de suivre, de comprendre l'évolution d'un label indépendant, ses errances et recherches musicales, ses prises de risques aussi, et, dans le cas, de ces deux groupes, de mieux situer ce qui amène le label de Joy Division, Factory, et son mythique directeur, Tony Wilson, a sortir le dansant 24 hours party people (FAC192) des Happy Mondays quelques huit ans après le cryptique All night party d'A Certain Ratio (FAC5). Et puis - joie - Jean-Marie Pottier a choisi Strangeways, here we come des Smiths, qui, pour moi, est le meilleur album du groupe de Manchester, et peut-être le meilleur disque des 80s... Bon livre. 

     

     

    Extrait de Indie Pop 1979 - 1997, de Jean-Marie Pottier (aux éditions Le Mot et le Reste 2015) :

     

     

    "Les labels indépendants sont là pour chercher, ce sont "des gens qui font passer la musique d'abord", comme l'a chanté Stiff Little Fingers sur "Rough Trade", morceau en hommage à leur label. Évoquant la différence entre les majors et les indépendants, Tony Wilson a un jour expliqué que "les uns sont guidés par la pratique consistant à signer un groupe pour avoir un tube ; les autres par le fait de dire "ça a l'air intéressant, enregistrons un disques"." Une recherche qui passe par un refus des clichés du rock devenu empâté, toutinier, au point que même le mot rock'n'roll fait figure de repoussoir. "Different story", la face B d'un des premiers singles publiés par Rough Trade, "Ambition" de Subway Sect, clame ainsi "We oppose all rock'n'roll" ("Nous nous opposons à tout le rock'n'roll"), tandis que Pete Wylie de Wah! Heat, un des têtes d'affiches de Zoo, forge en 1981 le néologisme "rockism" pour désigner tous les clichés qui ont épuisés le genre, du rappel obligatoire lors des concerts à l'album lui-même.

    Il existe un intellectualisme très présent dans cette scène, qui se nourrit de livres autant que de disques. Chez Fast, Bob Last cite volontiers le processus de distanciation cher au dramaturge allemand Bertold Brecht ou les théories sur la reproductivité de l'œuvre d'art du philosophe Walter Benjamin. Chez Factory, Tony Wilson puise dans le situationnisme une inspiration pour titrer un album ou imaginer un epochette, et en tire même le nom du club qu'il crée en 1982, l'Haçienda, emprunté au Formulaire pour un urbanisme nouveau du lettriste Ivan Chtcheglov ("il faut construire l'Haçienda"). Leurs soutiens ne sont pas en reste, parsemant à la même époque les colonnes du NME de noms de philosophes français, de Jacques Derrida à Michel Foucault en passant par Roland Barthes."

     

     

     

  • La carte postale du jour...

    "Ne m'attendez pas ce soir, car la nuit sera blanche et noire"

    - Nerval

    dimanche 25 octobre 2015.jpg

    Je me souviens que The Sound partagèrent l'affiche du festival Hot Point de Lausanne en 1987 avec And Also The Trees, The Woodentops (très à la mode alors), Public Image Ltd, Jad Wio et I Scream, et que c'est à cette période que j'ai du découvrir ce groupe dont le chanteur Adrian Borland me sembla, quelques années plus tard, très lié à Genève où j'ai le (mauvais?) souvenir qu'il a joué de nombreuses fois, en solo, de manière acoustique durant la première moitié des années 90.

    Je me souviens bien que, pour moi (et moi seul évidement) The Sound, et particulièrement cet album qui date de 1981, est, idéalement, la rencontre de Wire et Joy Division, mais qu'en réalité ce groupe n'a jamais passé le cap des "second couteaux" du post-punk, un peu comme les Comsat Angels ou Modern Eon, à cause peut-être de compositions pas assez travaillées, encore trop naïves, juvéniles, et d'une production qui manque d'épaisseur, ainsi que cette façon de chanter à la U2 dès débuts qui semble aujourd'hui dépassée, mais - parce qu'il y a toujours un mais - cet album avait quand même attrapé mon regard et gagné mon estime par sa pochette que je trouve aujourd'hui encore très belle et qui reprend le Daniel dans la tanière des lions, du britannique Briton Rivière (vers 1883).

    Je me souviens aussi que deux titres sortaient quand même du lot dans ce From the lion's mouth, l'un étant Winning, hymne new-wave avec sa mélodie de synthé jouée à deux doigts et un texte über-positif que le chanteur contredira tristement en se jetant sous un train 18 ans plus tard, miné par une dépression qui le poursuivait déjà depuis plus de dix ans, et l'autre titre, Silent air, dont il me faudra attendre pas mal d'années pour comprendre qu'il s'agit là d'un hommage à Ian Curtis et la chanson de Joy Dvision, Atmosphere, tant par son ambiance générale que par son texte :

     

    You showed me that silence,
    That haunts this troubled world,
    You showed me that silence
    Can speak louder than words 

    https://www.youtube.com/watch?v=U4gggZTAdSE

     

    Stanislas Rodanski fut une comète brillante que peu osèrent regarder sans couvrir leurs yeux d'une main tremblante ; je suppose que son incandescence le rendait probablement difficile à vivre pour ses contemporains d'ailleurs. Si Alfred Jarry fut, selon ses propres mots, "l'anarchiste parfait", Rodanski fut peut-être le surréaliste parfait ; dandy qui s'accommodait de la compagnie des voyous, habité par ses lectures, hanté par Jacques Vaché et Antonin Artaud, il fut une comète dont la traine regorgeait de surprises littéraires, comme la superbe Lettre au Soleil Noir, par exemple. Mais tout ça, aveugle que je suis, je ne l'aurais pas découvert sans ce livre fantastique de Bertrand Lacarelle, déjà auteur de deux essais qui sont de magnifiques hommages, l'un à Jacques Vaché, l'autre à Arthur Cravan. Ainsi, pour ce troisième ouvrage, La Taverne des ratés de l'aventure, Lacarelle se lance dans une enquête littéraire sur les traces de Rodanski, poète né en 1927 et qui écrira à André Breton : "il y a un monde et une vie à faire, car j'ai dix-neuf ans, je refuse ma solitude morale et je refuse aussi l'amitié des imbéciles... Je ne suis pas encore fou" ; pourtant, ce Desdichado, ce malchanceux, pour reprendre les mots de Nerval, fait naître en lui une "folie volontaire", jusqu'à son internement dans un hôpital de Lyon, à 27 ans, où il mourra (volontairement?) parmi les délaissés et les clochards quelques 27 ans plus tard, en 1981. Tout cela est relaté dans une langue de feu qu'on imagine comme une suite à la lecture des Chants de Maldoror ; en effet Bertrand Lacarelle s'enferme 27 jours dans cette Taverne des ratés de l'aventure pour tout savoir, comprendre, sur et autour de Stanislas Rodanski, sur la littérature comme dernière aventure et ses ratés, évidemment. C'est un livre qui fait des sauts entre l'époque de Rodanski et la nôtre. C'est aussi une galerie d'œuvres culturelles puisqu'on y parle des films de zombies de Romero, de Kerouac, d'Arthur Cravan (évidemment), de John Kennedy Toole et sa Conjuration des imbéciles, de William Burroughs, d'Alain Jouffroy, grand ami de Rodanski, etc. Tous ces allers retours, ses connections, ces correspondances entre de multiples références dans des temporalités très différentes, donnent un beau portrait de ce Soleil Noir du Surréalisme qui se décrivait avec un certain humour noir en ces mots : "Je suis à pétrir avec les débris de mon ombre un substance poétique qui ne lèvera qu'après ma mort, me laissant dans le pétrin qui est le cercueil."

    La taverne des ratés de l'aventure est une comète dans la littérature actuelle - levez-vite vos yeux au ciel, la nuit n'est pas si blanche et noire, il y brille un beau Soleil Noir!

    Extrait de La taverne des ratés de l'aventure, de Bertrand Lacarelle (éditions Pierre-Guillaume de Roux) :

    "La présence des livres se fait d'avantage sentir la nuit, comme s'ils sortaient des murs, du plafond, du sol, pour respirer, bruire et s'étirer. Ils prennent possession des lieux ; la Taverne n'est plus un bistrot mais une bibliothèque ou une librairie clandestine, et le silence s'impose naturellement, l'œil à l'écoute. La Taverne ressemble alors à une annexe de la librairie voisine, Un Regard Moderne, tenue depuis les années soixante par Jacques Noël. Entre ses murs de livres, ses empilements savants à l'équilibre précaire, Noël à reçu la visite de Burroughs ou des membres de Sonic Youth. On peut y trouver des illustrés de Bazooka, des pulp fictions aussi bien que Ulysse de James Joyce. Je n'ai pas encore vu à la Taverne le discret libraire, toujours de noir vêtu, mais il est probable que Bernard Schwartz, lors de ses apparitions, aille s'entretenir avec lui de Rodanski ou des Throbbing Gristle."

     

     

  • La carte postale du jour...

    "Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l’oubli. Evoquons une situation on ne peut plus banale : un homme marche dans la rue. Soudain, il veut se rappeler quelque chose, mais le souvenir lui échappe. A ce moment, machinalement, il ralentit son pas. Par contre, quelqu’un essaie d’oublier un incident pénible qu’il vient de vivre accélère à son insu l’allure de sa marche comme s’il voulait vite s’éloigner de ce qui se trouve, dans le temps, encore trop proche de lui.
    Dans la mathématique existentielle cette expérience prend la forme de deux équations élémentaires : le degré de la lenteur est directement proportionnel à l’intensité de la mémoire ; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli."

    - Milan Kundera, La lenteur

    mercredi 21 octobre 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir découvert The Wedding Present sur la compilation Indie Top 20, en 1989, aux côtés de groupes que j'adulais alors comme Front 242 ou The Young Gods, et, à défaut de partager le même style musical que ces derniers, d'avoir particulièrement flashé sur leur version française de Why are you being so reasonnable now?- traduit très justement Pourquoi es tu devenue si raisonnable? -, avec cet accent anglais si charming, mais d'avoir par la suite été quelque peu rebuté par la pochette de l'album (argh, un footballeur dessus!).

    Je me souviens bien que The Wedding Present - croisement de The Fall et The Smiths sous amphétamines - fait partie de ces groupes dont les disques, achetés de manière impulsive, sont aller rejoindre les centaines d'autres peu, voir pas écoutés du tout, mais que j'ai finalement redécouvert le groupe au mitan des années 2000 avec le très bon album Take Fountain, plus serein et bien plus mature évidement, comme bonifié par le temps passé, leur pop tumultueuse perdant en vitesse pour gagner en subtilité.

    Je me souviens aussi d'avoir récemment craqué quand j'ai vu cette version du George Best en coffret contenant quatre vinyle 10pouces (mon format favori!) et que le dernier titre de la liste était...

    Tu ne m'avais jamais dit ca
    Toujours le dernier a savoir
    Je dois deviner chaque jour comment tu te sens

    Tu n'as jamais rien a me dire
    T'aurais du parler
    Je ne comprends pas
    Pourquoi tu n'as rien dit

    Tu sais que je hais ce que je te fais
    Je ne veux pas te blesser mais tu te voiles la face
    Je refuse de jouer le dernier acte
    Mais pourquoi es tu devenue si raisonnable?
     

    https://www.youtube.com/watch?v=A-dBBfi0wc4

     

    Grace aux éditions de Minuit j'aurais fait l'acquisition d'un livre nommé Berceau (signé Éric Laurrent - magnifique) et maintenant Football, de Jean-Philippe Toussaint. Pour faire pire il faudrait au moins que j'achète une biographie de Phil Collins ou un livre de Jean D'Ormesson (je plaisante, j'aime trop la vie). Football alors... Toussaint nous prévient : "Voici un livre qui ne plaira à personne, ni aux intellectuels, qui ne s'intéressent pas au football, ni aux amateurs de football, qui le trouveront trop intellectuel. Mais il me fallait l'écrire, je ne voulais pas rompre le fil ténu qui me relie encore au monde." Heureusement, l'auteur se trompe - volontairement peut-être... ce livre s'adresse aux uns comme aux autres (la preuve par moi : je déteste le football, où plutôt ce qui enrobe ce sport, le déforme, le rend hideux). Car oui, cet essai qui n'en ait pas vraiment un s'adresse aux bons lecteurs comme aux footballeurs (et il doit y avoir pas mal de personnes qui rentrent dans ces deux catégories à la fois), qui apprécieront dans ce texte la qualité d'écriture de l'expérience vécue, du souvenir, le fait de lier le football à l'enfance, à la liesse, à l'espoir et, évidement, aux voyages ; après tout, Toussaint est allé suivre des coupes du monde au Japon et en Allemagne et ses récits prennent alors une tournure presque ethnologique (surtout au Japon). Et puis, comme il le dit lui-même, "Je fais mine d'écrire sur le football, mais j'écris, comme toujours, sur le temps qui passe." Le football est lié aux saisons comme aux émotions et à la mélancolie qui les accompagnent. Ainsi ce qui débute comme une tentative d'épuisement d'un sport populaire teinté d'un humour sensible, se mue très lentement en récit personnel qui passe par la lecture du magnifique Survivance des lucioles de Didi-Huberman et par l'évocation de la mort du père de l'auteur, deux "actions" remettant en question son devenir en tant qu'écrivain, affirmant aussi, comme un couperet, son possible désamour (ou plutôt désaffection?) du Football.

    Magnifique, de bout en bout.

     

    Extrait de Football, de Jean-Philippe Toussaint (éditions de Minuit) :

    "À quelques secondes du coup d'envoi, dans l'ambiance électrique des tribunes du stade de Saitama, tandis que les joueurs étaient déjà en place et que la rencontre allait commencer, le stade fut soudain survolé à basse altitude par quatre avions de chasse sidérants qui frôlèrent les toits et disparurent dans un vacarme tonitruant en laissant dans leur sillage d'inquiétants lambeaux de fumée et de sinistres réminiscences de guerre, de violence et d'attentats. Mais, à part ces enfantillages militaristes, la soirée fut des plus douces. Le coup d'envoi du match fut donné, et lorsque, telle une délivrance inattendue, la Belgique ouvrit le score sur un spectaculaire retourné acrobatique de Wilmots, je bondis de mon siège, les bras au ciel, tournant sur moi-même et sautillant dans les gradins, ne sachant où aller, avec qui fêter l'événement, avant d'apercevoir un autre Belge tout aussi isolé que moi dans les tribunes. Nous nous précipitâmes gauchement l'un vers l'autre, ignorant comment concélébrer notre but, nous contentant de nous frapper violemment les paumes l'une contre l'autre, é la manière de deux basketteurs américains qui viennent de réussir quelque exploit. Rien de plus, nous n'échangeâmes pas un mot, je ne sais même pas si ce type parlait français (c'est une des relations les plus étranges que j'aie entretenue dans ma vie), le retrouvant un quart d'heure plus tard au même endroit pour répéter le même geste à l'occasion du deuxième but de la Belgique. J'aurais pu me contenter de fêter les buts belges, mais je dois confesser que, presque sans me l'avouer, j'ai éprouvé à chaque fois une satisfaction secrète de voir ce stade exploser et trembler sur ses bases à chacun des buts des Japonais. Finalement, ce match nul me convenait à merveille, c'était même exactement le score que j'appelais de mes vœux. Je me souviens que, début décembre, quand fut connu le tirage au sort des rencontres, j'avais envoyé un courriel à Kan Nozaki, mon traducteur japonais, pour lui dire que j'espérais que nous ferions assaut de civilités lors de ce Japon-Belgique, et que, connaissant de réputations les excellentes manière des gens de son pays, j'espérais que les Japonais auraient l'exquise politesse de ne pas nous battre et que nous aurions l'élégance de ne pas en profiter pour gagner."