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allia - Page 2

  • La carte postale du jour...

    "Ne peut-on repenser le béton en roche primitive ? Dans les gravats des chantiers il y a des sources, elles formeront la pente des vallées fraîches."
    - Peter Handke, Par les villages

    samedi 28 mars 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir souvent pensé à cet été 1939 - le plus chaud du siècle dit-on -, celui-là même qu'on voit au début du film de Volker Schlöndorff, Le Tambour, adapté du livre de Günther Grass, et de l'avoir comparé à cet été 1989, où, avec l'insouciance de mes dix huit ans, je ne voyais rien de la catastrophe à venir, de la guerre qui allait ravager l'ex-Yougoslavie, de la chute du communisme qui allait entrainer avec lui ceux, nombreux, qui ne pourraient jamais s'habituer au changement, certains même allant jusqu'à s'immoler dans leurs jardins privatifs, et cette même catastrophe dure encore, avec la constance du marteau qui frappe le fer chaud de l'Histoire sur l'enclume du Temps, et tout ça, et plus encore, je l'entends parfois dans le disque d'Einstürzende Neubauten paru en 1989 : Haus der Luege.

    Je me souviens bien à quel point l'album Haus der Luege porte Berlin en lui ; par l'utilisation de son d'une manifestation à Kreutzberg en 1987 (sur le titre Fiat Lux), et surtout dans le texte de Feurio! où Blixa Bargeld cite Marinus (van der Lubbe), l'incendiaire présumé du Reichstag dans le Berlin de '33 ; Marinus l'anarchiste, qu'on retrouve sous le nom de Fish dans la pièce de Brecht intitulée Résistible Ascension d'Arturo Ui - et Blixa d'ajouter "Du warst es nicht, es war König Feurio!".

    Je me souviens aussi que Feurio! et le titre Haus der Luege sont restés deux de mes titres favoris des Neubauten, mais surtout, oui, surtout Haus der Luege, qui à mon avis est le meilleur texte de Blixa, et l'un des titres le plus impressionnant (et représentatif) de ce groupe de Berlin ouest :

     Viertes Geschoss:
     Hier wohnt der Architekt
     er geht auf in seinem Plan
     dieses Gebäude steckt voller Ideen
     es reicht von Funda- bis Firmament
     und vom Fundament bis zur Firma

    https://www.youtube.com/watch?v=JZ4Q9_bDwLY

     

    J'aime Trieste, Leipzig, Bruxelles, mais c'est le plus souvent à Berlin que je reviens. Cette-fois avec deux livres sur la capitale allemande chez l'éditeur La Ville Brûle, déjà responsable il y a environ trois ans de L'Autre Guide de Berlin, décrite alors comme la ville où tout est possible, phrase à laquelle s'ajoute maintenant : mais pour combien de temps encore ? (à ce sujet lire l'excellent petit essai paru chez Allia de Francesco Massi : Berlin, l'ordre règne) Avec délicatesse, en passant par Kafka, Walter Benjamin, en usant de distance, en se laissant dériver aussi, Cécile Wajsbrot décrit le Berlin dans lequel elle a vécu de nombreuses années, consciente des changements actuels, toujours plus rapides d'ailleurs. Le regard qu'elle porte sur cette ville est d'une originalité toute personnelle, c'est l'histoire d'amour d'une artiste envers le Genius Loci (l'esprit du lieu). De son côté, Christian Prigent nous offre lui un texte plus didactique peut-être, mais pas moins intéressant, c'est sûr. Il liste les endroits (souvent détruits pendant la guerre) où ont habité des artistes, et nous invite à suivre des fantômes dans les couloirs du temps et de l'histoire. Deux ballades forcément complémentaires et hautement recommandées. Des initiatives de cette qualité on aimerait en lire sur Trieste, Leipzig, Bruxelles - eh oui.

    extrait de Berlin sera peut-être un jour, de Christian Prigent :

     

    "On fait tout politiquement et architecturalement parlant, pour que cette ville rendue à son leadership administratif soit une sorte de laboratoire d'urbanisme futuriste. Mais Berlin est plus évidemment une ville au conditionnel passé : à Berlin on voit surtout ce qu'on aurait pu, voulu, aimé voir - et qu'on ne voit plus. Les monuments qu'on voit "en vrai" sont pour la plupart des résidus totémiques (l'église cassée du Ku'Damm, les restes théâtraux de la façade d'Anhalter Bahnhof, les pans de murs graffités de Mühlenstrasse, les ex-ambassades auprès du Reich, en état de décrépitude avancée parmi des bouillons de buissons sales et des jonchées de gravats...). Ou bien se sont des carcasses vidées, déplacées et re-remplies (ainsi le musichall Esplanade, où j'entendis Jacques Derrida conférencer sur Paul Celan devant des fresques modern style, a quitté, monté sur roulettes, l'orée de l'ancien quartier des ambassades pour se nicher dans un immeuble neuf de la PotsdamerPlatz). Et quand ce ne sont ni des ruines pathétiques ni des cubes déplacés sans vergogne, se sont souvent des reconstructions façon Viollet-Le-Duc (ainsi une bonne partie du château Charlottenburg), à la manière de ces sites archéologiques qu'on peut voir au Pergamonmuseum dans l'île aux Musées : l'autel de Pergame tout beau tout réparé, le marché de Milet remis sans complexe à neuf, la porte d'Ishtar à Babylone pétant mieux la couleur qu'en scope Hollywood. En quoi ce musée à la fois passionnant et kitsch-péplum est comme une mise en abyme de Berlin tout entier.
    Dit autrement : Rome est un cut-up, un énorme collages de bribes de siècles. Manhattan est une ode musicale, l'érection à la fois sauvage et réglée d'un rêve de grandeur gris-rosé, un poème pongien orgueilleux et sériel. Berlin est un sonnet mallarméen détruit. Comme si cette ville était La Ville - en tant qu'absente de toute ville, et d'abord d'elle-même. Et comme si elle était du coup aussi une sorte de (pur) temps historique, absente de toute (petite ou grande) histoire."

    extrait de Berlin Ensemble, de Cécile Wajsbrot :

    "Tandis que le Palais de la République - construit par la RDA à la place du Château, symbole de l'autocratisme prussien - continue de se déstructurer, devenu carcasse métallique ouvrant des perspectives inconnues, bouclant la boucle des temps - des ruines du château est né le palais devenu ruine d'où naîtra un château reconstruit à l'identique une fois l'argent trouvé -, tandis que le Palais continue de tomber, désossé au centre de la ville, symbole des grandeurs déchues - le forum romain apparut ainsi à Joachim du Bellay lorsqu'il méditait sur le caractère éphémère des empires (mais qui médite aujourd'hui, les voitures passent sans s'arrêter, les ouvriers s'activent à la destruction et parmi eux, peut-être, les fils des bâtisseurs, et les passants doivent batailler contre le bruit et le mouvement s'ils veulent avoir une chance d'accéder à la contemplation de ruines qui n'ont rien de romantique, de poétique - où plutôt si, la poésie urbaine, celle du métal et du chaos, celle du béton et de l'amiante, et des moteurs assourdissants) ? -, tandis que le Palais continue de tomber, succombant sous les coups de ceux qui ne veulent plus voir, qui ne veulent pas savoir, de ceux qui n'ont rien appris, rien oublié, pendant ce temps, les trains continuent de rouler, imperturbablement."

  • La carte postale du jour...

    "C'est une chance rare que de trouver quelqu'un qui veuille avec nous partager heur et malheur"
    - Euripide, Electre

    dimanche 22 mars 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir entendu de très nombreuses fois la chanson Perfect murder de The Glove sur Couleur3, probablement entre 1990 et 1994, et de m'être souvent demandé pourquoi le programmateur avait choisi ce titre en particulier, issu d'une collaboration entre Robert Smith des Cure et le bassiste de Siouxsie, Steve Severin, les deux musiciens s'offrant ainsi une pause à la noirceur et à la mauvaise ambiance régnant dans leurs groupes respectifs, pour opter pour cette pop hybride et synthétique, colorée, psychédélique, et pour le moins jubilatoire.

    Je me souviens bien d'avoir d'abord pensé que The Glove faisait référence au gant dessiné par Max Klinger et se retrouvant dans une série de dix planches retraçant sa perte, son vol, son adoration, jusqu'à devenir l'incarnation d'un fétichisme érotique délirant, alors qu'en fait il s'agissait d'une référence au gant volant (tout aussi délirant) qu'on peut voir dans le film Yellow Submarine des Beatles, ce qui est bien dommage, car je préférais le lien avec les dessins du symboliste contemporain de Von Stuck et Böcklin.

    Je me souviens aussi que le contrat qui liait Robert Smith comme chanteur de The Cure avec sa maison de disques lui interdisait de chanter sur plus de deux titres d'un projet annexe, et que, au final, Severin et lui avaient trouvé une chanteuse - Jeanette Landray - pour interpréter le reste de l'album Blue Sunshine, mais que les moments forts sont ceux où Smith donne de la voix, le lancinant et hypnotique Perfect Murder, et le joli et très inspiré d'Eneonor Rigby (des Beatles, encore), Mr. Alphabet says :

     Here comes the book
     The book of rules
     If you play this game
     You won't stay the same
     You could win your golden teeth
     Be a spinning top
     Use a riding crop

     Mr. Alphabet says
     "Smile like a weasel as I cover you
     Cover you in treacle"

     We all know impatience is a sin
     So do as you're told to do
     It's so rewarding to
     And you could win the Tin Man's heart
     Be a chiming clock
     Lie on the chopping block

     Mr. Alphabet says
     "Give me all your money just to cover you
     Cover you in honey"

    https://www.youtube.com/watch?v=6QFRtXNBdLc


    Après les lectures assez sérieuses que furent celles du livre de Marceline Loridan-Ivens (le magnifique Et tu n'es pas revenu) et de celui de Jean Rouaud (l'excellent Misère du roman), je ne peux que remercier cette cliente qui m'a pointé du doigt ce court texte d'Henry James, isolé ici par les éditions Allia pour lui donner plus de valeur que perdu dans un gros recueil de nouvelles comme c'est bien trop souvent le cas. La Seconde Chance est un merveilleux livre, une rencontre en bord de mer, entre un écrivain malade qui réalise que son dernier livre à paraître est un chef-d'œuvre, se souhaitant alors une seconde chance - une seconde vie -, pour pouvoir en profiter, et un jeune médecin aux ambitions littéraires, admirateur de l'écrivain en question, pour qui il va gâcher sa chance, pour ainsi dire. D'une langue habile, virevoltante presque, Henry James laisse supposer toute l'amertume d'une vie qui touche à sa fin, ses regrets, mais aussi tous les espoirs qu'ont encore les plus jeunes de pouvoir se projeter en elle. Cela m'a fait penser à ce film de Sorrentino, intitulé This must be the place, où le protagoniste central, une sorte de Robert Smith déprimé et apathique joué par Sean Penn, déclare à une serveuse qui lui avait tendu un hamburger à la viande de boeuf un peu trop cuite en lui disant "désolé, c'est la vie" : "Avez-vous remarqué que lorsqu'on est jeune on dit que "ma vie sera comme ça" et que lorsqu'on vieillit on ne dit plus que "la vie est ainsi" ?". Alors quand se présente t-elle cette seconde chance, et y en a t-il seulement une ? Réponse avec la lecture recommandée de cette nouvelle d'Henry James - presque indispensable.

    extrait :

    "Il comprit durant les longues heures calmes qu'il n'avait vraiment pris son envol qu'avec La Seconde Chance ; c'était seulement ce jour là que, visité par des processions silencieuses, il avait reconnu son royaume. Il avait eu une révélation de son étendue. Ce qu'il redoutait, c'était que sa réputation pût reposer sur quelque chose d'inachevé. Ce n'était pas son passé mais son avenir qu'elle devrait vraiment concerner. La maladie et l'âge se dressaient devant lui comme des spectres aux yeux sans pitié : comment pourrait-il soudoyer le destin pour obtenir la seconde chance ? Il avait eu la seule chance qu'ont tous les êtres humains - il avait eu la chance de la vie."

     

  • La carte postale du jour...

    "J'ignore la nature des armes qu'on utilisera pour la prochaine guerre mondiale. Mais pour la quatrième, on se battra à coup de pierres."
    - Albert Einstein

    omd, orchestral manoeuvres in the dark, enola gay, ian curtis, einstein,

    Je me souviens plutôt bien de cette classe de neige de 81-82, à Thyon 2000 (à cette époque les années 2000 représentaient encore un futur quasi-inaccessible), j'avais alors dix ans, fin de semaine et disco organisée dans une salle commune du chalet avec, sur vote, deux titres à choix : Enola Gay d'Orchestral Manoeuvres in the Dark ou Words de F.R.David; à l'énoncé de ces deux chansons, une petite frappe (de la classe qui nous accompagne) exige de tous les garçons, moi y compris, que nous donnions nos voix à Enola Gay, le poing en avant à hauteur des visages, que j'imagine blêmes - quand j'y repense aujourd'hui, c'était plutôt un bon choix (ça m'évite le souvenir pénible d'un slow honteux sur la musique utilisée dans le film La Boum, quand même), même si le procédé reste discutable.


    Je me souviens de l'émotion éprouvée en découvrant dans les années 2000 que la chanson Statues qui figure sur ce deuxième album d'OMD - Organisation - est dédiée à Ian Curtis, le chanteur de Joy Division, et j'ai aussi été estomaqué quand j'ai appris que ce groupe, désirant être à la fois Abba et Stockhausen (dixit son chanteur dans un entretien) avait en quelque sorte saboté accidentellement sa carrière avec son quatrième (et pourtant excellent) album - Dazzle Ships -, dont le son plus sombre et expérimental fit dégringoler les ventes à 300'000 milles exemplaires, alors qu'ils avaient vendu 3 millions de copies du précédent disque - Architecture & Morality, ce qui revient à 90% d'auditeurs en moins, ce n'est pas rien.


    Je me souviens aussi d'avoir détecté tout récemment une légère obsession d'OMD pour les avions de combat et les bombardements, que cela soit avec le récent Dresden - qui revient sur le tapis de bombes déversées sur la Florence de l'Elbe du 13 au 15 février 1945 qui se solda par 20'000 à 30'000 victimes civiles -, avec aussi The Messerschmitt Twins (1980), et bien sûr Enola Gay, LE tube new wave d'OMD,  au sujet pourtant grave puisqu'il parle de la forteresse volante B-29 (nommée ainsi par le pilote, le Colonel Paul Tibbets, pour rendre hommage à sa mère : Enola Gay Hazard Tibbets) qui largua la bombe atomique (appelée Little Boy) sur Hiroshima, d'où ces paroles incompréhensibles pour le jeune garçon que j'étais alors :

     Enola Gay
     Is mother proud of little boy today
     Ah-ha this kiss you give
     It's never ever going to fade away

     Enola Gay
     It shouldn't ever have to end this way
     Ah-ha Enola Gay
     It shouldn't fade in our dreams away

    http://vimeo.com/79026680

     

    Atomic Bazaar est un livre qui fait froid dans le dos. William Langewiesche dresse un portait hyper détaillé de la prolifération continue et incontrôlable des matériaux propres à l'élaboration d'une bombe atomique, cela surtout dans les pays dits pauvres. Un travail journalistique de qualité, fort intéressant, avec comme point de départ le largage de la toute première bombe nucléaire par le Boeing Enola Gay sur Hiroshima, pour ensuite aller en ex-URSS et finir au Pakistan, véritable poudrière atomique pour terroriste - selon l'analyse de l'auteur qui est allé sur place rencontrer plusieurs spécialistes. Après cette lecture, on ne peut que savourer chaque gorgée de café comme si c'était la dernière.

     

    "Tibbets parlait d'expérience et, d'une certaine façon, il avait raison : c'était évidemment jouer de malchance que de se trouver sous son avion en 1945. Cependant, les innocents qui moururent ce jour-là n'étaient pas des victimes collatérales - pas plus que les victimes du World Trade Center. En effet, Hiroshima avait été choisie au premier chef en tant que cible civile et avait été épargnée par les traditionnelles bombes incendiaires afin de la réserver à la démonstration la plus dramatique possible des conséquences d'une frappe nucléaire. Trois jours après, la ville de Nagasaki fut frappée par un engin encore plus dévastateur : une bombe sophistiquée basée sur le principe de l'implosion, construite autour d'un cœur de plutonium de la taille et de la forme d'une balle de baseball, la masse critique étant atteinte quand ce cœur est comprimé de manière symétrique par des explosifs arrangés très précisément tout autour. Il en résulta une détonation de vingt-deux kilomètres. Bien que la ville fut protégée en grande partie par ses deux collines, les pertes s'élevèrent à environ soixante-dix mille personnes. Certains chicanent en avançant qu'une démonstration en pleine mer, ou même au-dessus de la baie de Tokyo, aurait pu conduire les Japonais à se rendre, sans coûter autant de vies humaines - et dans le cas contraire, une autre bombe était prête. Mais le but était de terroriser totalement une nation entière : atomiser des civils était le meilleur moyen d'y parvenir."

     

  • La carte postale du jour...

    "Il y en avait, il y a dix ans, de ces choses qui m'intimidaient! La poésie concrète, Andy Warhol, et puis Marx et Freud et le structuralisme - et les voici envolés..., et rien ne doit plus oppresser quiconque si ce n'est le poids du monde."
    - Peter Handke, Le poids du Monde (1980)

     

    dimanche 4 janvier 2015.jpg


     
    Je me souviens quelle a été ma joie lorsque mon groupe d'alors - Danse Macabre - fut booké en première partie de Norma Loy, près d'Annecy, en 1992 je crois, et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un groupe plutôt distant (bon, la scène "dark" c'est pas non plus la croisière s'amuse...), qui ne ressemblait plus à celui que je connaissais - de la new wave burlesque, inspirée, décadente, ... -, mais tentait vaguement d'imiter les Doors, et puis je me rappelle aussi ce grand rocker tout de cuir vêtu qui vint me voir au bar après notre concert pour me jeter à la figure d'une voix de basse "ta musique c'est de la merde", éructation qui venait non pas de son cœur mais au moins de ses intestins, et qui mit fin à ma carrière sur scène quasi-instantanément.
    Je me souviens aussi d'avoir toujours été perturbé par l'utilisation du saxophone, surtout pour la musique post-punk/new wave, j'en trouvais en effet chez Siouxie (supportable), Siglo XX (acceptable), sur le super 45tours de Carol & Snowy Red Breakdown (convenable) et même chez les Italiens Diaframma et leur Joy Divisionesque album Siberia (recevable), mais encore aujourd'hui, c'est vraiment l'instrument maudit pour moi, allez savoir pourquoi...
    Je me souviens aussi d'avoir toujours été fasciné par cette reprise de L'Homme à la moto, son côté lugubre, son texte scandé avec une voix grave :

     Marie-Lou la pauvre fille l`implora, le supplia
     Dit: `Ne pars pas ce soir, je vais pleurer si tu t`en vas`
     Mais les mots furent perdus, ses larmes pareillement
     Dans le bruit de la machine et du tuyau d`échappement

     Il bondit comme un diable avec des flammes dans les yeux
     Au passage à niveau, ce fut comme un éclair de feu
     Contre une locomotive qui filait vers le midi
     Et quand on débarrassa les débris...

    Avant de partir à Rome, et pour ne pas toucher aux trois livres que j'emporte en voyage (Landolfi, Andritch et Gheorghievski), j'ai décidé de relire en vitesse cet Ultime entretien de Pasolini. Et une fois encore, c'est impressionnant de constater à quel point l'esprit d'analyse de Pasolini est brillant. Comme Clouscard dès les années 70 avec sa critique du libéralisme libertaire, Pasolini dénonçait lui aussi le consumérisme hédoniste et la corruption des consciences, dix ans avant que cette réalité ne s'installe véritablement, pour durer encore d'ailleurs. C'est vraiment un petit livre puissant, à relire régulièrement ; à noter aussi la sortie du film Pasolini d'Abel Ferrara, et puis l'un des plus beaux titres underground dédiés à l'écrivain italien, Ostia (The death of Pasolini) de Coil. Mais je m'égare...

     - Pourquoi penses-tu que pour toi, certaines choses soient tellement plus claires ?

      - Je voudrais arrêter de parler de moi, peut-être en ai-je déjà trop dit. Tout le monde sait que mes expériences, je les paie personnellement. Mais il y a aussi mes livres et mes films. Peut-être est-ce moi qui me trompe. Mais je continue à dire que nous sommes tous en danger.

     - Pasolini, si tu vois la vie de cette manière - je ne sais pas si tu accepteras de répondre à cette question - comment penses-tu éviter le danger et le risque ?

     Il s'est fait tard, Pasolini n'a pas allumé la lumière et il devient difficile de prendre des notes. Nous revoyons ensemble mes notes. Puis il me demande de lui laisser les questions.
     
     - Certains points me semblent un peu trop absolus. Laisse-moi y penser, les revoir. Et puis laisse-moi le temps de trouver une conclusion. J'ai quelque chose en tête pour répondre à ta question. Il est plus facile pour moi d'écrire que de parler. Je te laisse les notes supplémentaires pour demain matin.

     Le lendemain, un dimanche, le corps sans vie de Pier Paolo Pasolini était à la morgue de la police de Rome.

     

  • La carte postale du jour...

     

    "Nous vivions intégralement notre temps, précisément parce que nous sommes déjà de cœur au delà." - Henri Lefebvre, Vers un romantisme révolutionnaire (1957)

     

    dimanche 16 novembre 2014.jpg

     

     

    Je me souviens de m'être rendu à l'OFC (office pour l'orientation, la formation professionnelle et continue), je devais avoir 17 ans, le bâtiment était vétuste, quelques personnes travaillaient dans ces petits bureaux se trouvant au deuxième ou troisième étage (aujourd'hui c'est un bâtiment moderne, immense, dont les bureaux occupent plusieurs étages et fourmillent de fonctionnaires alors que paradoxalement, les places d'apprentissage ont plutôt tendance à se raréfier ; toutefois pour moi il n'avait pas été difficile de trouver diverses embauches, et ce sur deux années consécutives, même si je n'ai terminé aucun de mes deux apprentissages...), en prenant l'ascenseur étroit, après mon rendez-vous, je croisais un homme d'un certain âge, costard-cravate de rigueur, qui me détailla de la tête aux pieds, ma coupe de cheveux hirsute tentant d'imiter celle de Robert Smith, mes Dr Martens (de rigueur...), son "scannage" s'arrêtant finalement sur mon manteau noir (probablement trop grand pour mon mètre soixante neuf) et plus principalement sur les quelques pins, d'un seul et unique groupe - PIL -, ce qui provoqua son interrogation polie sur la signification de cet acronyme, curiosité que je me pressais de satisfaire par un joyeux "Public Image Limited!" qui me valut en retour un "ah, oui, en effet..." lourd de sous-entendu.
    Je me souviens bien d'avoir été assez enchanté par l'audace de John Lydon qui nomma ainsi son disque vinyle album", son quarante-cinq tours "single", la cassette "cassette" et puis plus tard, la version CD "compact disc".
    Je me souviens aussi d'avoir trouvé les guitares trop heavy, la production (Bill Laswell) bien trop chargée - comme du Killing Joke mid-eighties croisé au rock-fm de Steve Vaï ; une horreur en somme, en totale contradiction avec le son accidentel et minimal/post-punk des débuts de PIL ! -, mais heureusement, cet album recelait quelques perles comme le très chaloupé Round (génial) ou encore le tube absolu qu'est Rise dont le refrain "anger is an energy" est entré dans la légende du rock, pour une chanson faussement joyeuse puisque parlant de l'apartheid :

    I could be wrong, I could be right
    I could be black, I could be white
    I could be right, I could be wrong
    I could be white, I could be black

    Je n'achète pas seulement des livres pour leur contenu, mais aussi pour l'objet. Si la littérature dite "sérieuse" s'affiche avec sobriété (le blanc et bleu des éditions de Minuit et POL, le blanc et noir de José Corti, la couverture crème de la "Blanche" de Gallimard, etc.), c'est toujours un plaisir de faire l'acquisition d'un ouvrage des éditions Allia qui arrivent à allier (Allia, allier... je n'ai pas fait exprès je le jure) un contenu de qualité avec un contenant original et réciproquement. Cet entretien de Gérard Berréby (le directeur des éditions Allia) avec Raoul Vaneigem (ancien membre de l'Internationale Situationniste) pourrait devenir une référence indispensable pour tous les amateurs de l'IS, dont le courant, la critique de la critique et les dérives influencèrent autant Tony Wilson du label Factory (Joy Division, The Durutti Column) que Malcolm McLaren, le manager des Sex Pistols. Bourré de citations, d'extraits de textes, de reproductions de journaux, de manifestes d'époque, ce n'est plus un livre mais une mine d'or pour qui s'intéresse à Vaneigem bien sûr, mais aussi Debord, Marx, Scutenaire, le socialisme, le surréalisme, la Belgique et bien, bien, bien plus encore... Comme tout est intéressant, difficile d'en extraire une petite partie, il faudrait tout citer, recopier le livre, mais voici deux passages, l'un très court, l'autre très long, qui ont pourtant 366 pages d'écart, mais qui me semblent révélateurs de l'état d'esprit des deux intervenants, et de la richesse de leurs propos :


     
    "Gérard Berréby : Cette haine te donnait une légitimité, une raison de vivre, de t'affirmer .
    Raoul Vaneigmen :  Sans doute une façon de m'affirmer contre le monde, dans un combat dont je ne percevais évidemment pas les nuances...

    ...

     G.B.: Ce principe est devenu la terreur de la police tout comme celle des hommes politiques ; c'est la crainte de tout ce qui est rendu public. J'ajoute que les policiers en action ont une caméra fixée sur la poitrine ou sur leur casque. Par exemple, on a assisté, en 2007, à des émeutes à la gare du Nord à Paris. J'en ai consulté quelques vidéos sur YouTube. Une masse de gens "compactés", très serrés, se révoltaient et hurlaient... Mais ce qui m'a frappé encore davantage, ce sont les bras tendus, tenant des téléphones mobiles qui filmaient. Ce ne sont pas les poings levés ou une pancarte ou quoi que ce soit qui ont retenu mon attention, mais le fait qu'il y ait autant de téléphones mobiles en train de filmer. Cela relève d'une dynamique contradictoire : d'un côté, on a affaire à des témoignages vitaux qui circulent anonymement sur le net, d'un autre côté, on constate une participation à un développement spectaculaire. L'élément crucial, au cœur de la manifestation, ne consiste plus justement à manifester mais à filmer l'"événement" jusqu'à usure de la batterie pour ensuite vite rentrer chez soi et télécharger le résultat sur des sites adéquats. Évidemment, cette pratique a joué un rôle très positif, que ce soit, par exemple, en Tunisie ou en Iran. La caméra est devenue l'objet prioritaire. Dans un autre genre, on a insisté, aux États-Unis, au lancement d'une paire de tennis à l'effigie d'un grand basketteur, Jordan, et avant l'ouverture du magasin, une émeute aux risques de débordements énormes a dû être canalisée par la police. On observe, aujourd'hui, ces formes de manifestations populaires violentes, fondamentalement basées sur la consommation prioritaire de marchandises nouvelles, avec des répressions policières pour le maintien de l'ordre. Il y a là, à mon avis, une chose assez étonnante qui s'opère. Auparavant, la police ne chargeait pas les gens qui allaient dans un supermarché. Or, à Londres, le jour des traditionnels soldes du début du mois de janvier, des mouvements de foule à qui entrerait le premier dans le grand magasin pour faire une bonne affaire ont dû être contenus. La police a été obligée de maintenir l'ordre. Il y a quand même là une évolution fulgurante qui dégénère complètement dans ses intentions et dans ses effets. Si j'en parle, c'est parce que le déplacement des énergies dans les manifestations, ce que devient un mouvement de résistance et comment la police le canalise, sont des phénomènes en perpétuelle évolution.
    R.V.: On est dans une confusion totale. La "confusion", le "spectacle", sont des données intéressantes. Quand le spectacle conserve toute son unité ou lorsque le "pour" et le "contre" s'équilibrent, c'est une notion acceptable. Mais là, dans les exemples que tu cites, plus personne ne sait où il se trouve. Des gens redoutent que leur image passe mal ou ne passe plus... J'aime assez cette vision du poing brandi avec un téléphone qui filme parce que c'est une arme ; une arme qui ne tue pas. J'ai l'impression qu'on s'achemine - il faut faire confiance à la créativité des gens - vers le développement d'une résistance par des armes qui ne tuent pas."