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Film - Page 8

  • La carte postale du jour...

    "Désapprendre. Déconditionner sa naissance. Oublier son nom. Être nu. Dépouiller ses défroques. Dévêtir sa mémoire. Démodeler ses masques."
    - Jacques Lacarrière, Sourates

    dimanche 15 février 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir acheté le double album live de Siouxsie & The Banshees (Nocturne) parce que j'avais remarqué que le guitariste n'était autre que Robert Smith, l'une des mes icônes d'adolescence, nous étions en 1987 et grâce à ce disque j'allais découvrir le Sacre du printemps de Stravinski, utilisé comme introduction au concert londonien, et aussi que mon titre préféré sur les treize présents de ce disque n'était aucunement signé par Siouxsie et sa bande mais bel et bien une reprise des Beatles, groupe que j'avais cru de "bon goût" de renier - Sex Pistols oblige -, mais avec qui je me rabibocherais bien vite en réécoutant le merveilleux Eleanor Rigby, le fantastique Tomorrow Never Knows, le lancinant Across The Universe et bien sûr ce Dear Prudence que j'aime beaucoup, l'original comme la reprise d'ailleurs.

    Je me souviens bien du regard fuyant de ma mère lorsque je lui demandais si elle n'avait pas vu mon t-shirt de Siouxsie comportant uniquement l'Étoile de David pour seul rappel au groupe et sa chanson Israël, et que sa réponse, gênée, fut, après une longue hésitation, de rentrer dans la chambre d'amis, d'ouvrir une armoire et d'en sortir, caché sous des draps, mon t-shirt rapetissé à une taille lilliputienne parce que passé par erreur à 90 degrés, ce qui m'avait, la mauvaise surprise passée, plutôt fait rire je crois.

    Je me souviens aussi d'être tombé en émoi devant cette image signée du photographe Sakae Tamura et utilisée pour la pochette de ce 45tours reprise de Dear Prudence par Siouxsie; datant de 1931 et intitulée White flower, elle semblait représenter à merveille le texte de cette chanson composée par Lennon et McCartney dans l'espoir de faire sortir la sœur cadette de Mia Farrow - Prudence - qui, selon la légende, passait ses journées cloîtrée dans un bungalow de l'ashram où se trouvaient les Beatles, en mars 1968...

    Dear Prudence, won't you come out to play?
     Dear Prudence, greet the brand new day
     The sun is up, the sky is blue
     It's beautiful and so are you
     Dear Prudence won't you come out and play?

     

    https://vimeo.com/27355453

     

    J'ai bien failli passer à côté de ce livre : entraperçu dans l'arrivage plutôt massif de janvier, je l'ai vite oublié et c'est grâce à la chronique d'Éric Chevillard dans le journal Le Monde que je me suis intéressé à ce livre. Juliette Kahane est La Fille de Maurice Girodias, que je ne connaissais pas jusqu'alors, et qui est pourtant le premier éditeur de l'édition originale de Lolita - de Nabokov - en 1955, livre sulfureux refusé par tous les éditeurs américains de cette époque. Il est bon de se remémorer le fait que la censure française pour les textes accusés de pornographie s'applique à la langue française uniquement - Girodias put ainsi contourner la loi en publiant ce livre en France, certes - mais en langue anglaise. Devenu best-seller mondial, Girodias profite des retombées financières pour ouvrir un restaurant à Paris, pour mener la vie d'éditeur flamboyant et de playboy flambeur, entouré d'une petite cour de fidèles, tout ça plutôt que de payer Nabokov qui ira très vite voir ailleurs si l'herbe est plus verte (et dans ce cas : elle l'est). Mais ce livre de Juliette Kahane est avant tout le portrait autobiographique d'une jeune femme qui peine à devenir adulte, à se débarrasser de la chrysalide pour devenir papillon. Mais c'est aussi un biais évident pour se pencher sur son passé familial, chaotique et fascinant, principalement celui du père, bien sûr ; d'ailleurs Éric Chevillard le résume bien dans sa chronique en disant : "Tout récit d’enfance est un récit posthume et les chahuts du garnement nous renseignent surtout sur les manifestations éprouvantes de la démence sénile".


    La Fille est un livre épatant, tant au niveau de l'écriture, subtile et rythmée, que pour son contenu, puisque la jeunesse de Juliette Kahane passe par l'Amérique des sixties, mai 68, la complicité d'une grande fille tout en noir qui lit Jean Genet (Le Journal d'un voleur), Georges Bataille (Madame Edwarda) et se passionne pour l'œuvre de Sade, par des rencontres fugaces (Valérie Solanas par exemple, auteure du manifeste SCUM et qui s'illustrera en essayant de tuer Warhol - publiée par... Girodias évidemment!), etc. Livre sur l'adolescence, l'amour, le sexe, l'édition, la littérature, le passé, la mémoire, ou plutôt les mémoires, la sienne et celle de son père, différentes mais qui se rencontrent dans ce beau récit renversant.

     

     "De ce moment date sa manie. Du jour où elle a vu le film Nuit et Brouillard, elle qui est née après la guerre et dont aucun membre de la famille proche n'a été déporté, en tout cas pas parce que juif. De ce jour, chaque fois qu'elle se trouve, chaque fois que je me trouve dans une situation d'entassement, de foule comprimée, emprisonnée - dans le métro aux heures de bousculade par exemple : observer des visages, les gestes. Essayer de pressentir laquelle, lequel aurait été prêt à marcher sur les têtes et les corps pour respirer un peu d'air, à se battre pour voler un peu d'eau ; qui se serait mis à hurler, à donner des coups, qui aurait fermé les yeux en priant, qui serait tombé en premier, aurait renoncé ; qui aurait essayé d'organiser, de calmer, de retarder le moment où on devient animal, schwein. Ou dans les files d'attente, les queues. Les resquilleurs, les passifs, les amuseurs, les analystes. Parce que je vois bien l'absurdité (voire l'obscénité) de prétendre superposer imaginairement les deux situations, l'impossibilité de deviner qui dans cette foule serait victime et qui bourreau, comment, déportée dans un camp nazi, je me serais comportée - je n'ai jamais parlé à qui que ce soit de cette enquête perpétuelle. Ce qui fait que je n'ai jamais su jusqu'à quel point cette manie était répandue parmi ceux qui ont vu ce film ou d'autres documents d'archives, qui sont parmi les armes les plus puissantes de l'abjection.
    De ce moment date aussi la question de ce qu'est un Juif, et cette autre question : qu'est-ce que c'est, porter un nom juif ? Pourtant Nuit et Brouillard ne parle pas de l'antisémitisme nazi, il n'en dit pas un mot. Une seule fois le mot juif est prononcé. Au fil d'une énumération de déportés, on entend "Stern, étudiant juif d'Amsterdam", comme si cette particularité de Stern, être juif, n'avait qu'un rapport accidentel avec son arrestation puis sa déportation. Comme s'il représentait une minorité juive parmi, cette curieuse phrase, "la foule des pris sur le fait, des pris par erreur, des pris par hasard". Une minorité au sein des exterminés. La seule distinction évoquée parmi les prisonniers des camps nazis est celle qui sépare les kapos, presque toujours des droit-commun, des autres déportés. Les noms des camps sont prononcés, sans qu'aucune différence soit faite entre camps de concentration et camps d'extermination. Rien sur le sort particulier des Juifs, des Tsiganes, des homosexuels, des Slaves. Il faut remarquer les étoiles jaunes sur les habits des raflés qui montent dans les wagons à Pithiviers, à Varsovie. Il faut déjà savoir sur quoi s'est concentrée la haine nazie. Ce silence sur le génocide des Juifs par l'Allemagne nazie, c'est maintenant, tandis que j'écris ces lignes, que revoyant le film j'en suis frappée. Je ne crois pas que la fille qui a vu Nuit et brouillard au début des années soixante y ait pensé."

  • La carte postale du jour...

    "Comme une tache d'encre aux multiples bavures se dénouant et se renouant, glissant sans laisser de traces sur les décombres, les morts"
    - Claude Simon, La Route de Flandres (1960)

    dimanche 8 février 2015.jpg


     
    Je me souviens d'avoir attendu fébrilement cet Ypres, de n'avoir pas été déçu.

    Je me souviens bien qu'à l'écoute de ce disque solennel des Tindersticks, travail sonore commandé par le musée In Flanders Fields pour illustrer de manière permanente l'exposition sur la seconde bataille d'Ypres (1915), je me suis immédiatement remémoré celui des français de Collection d'Arnell-Andrea intitulé Villiers-aux-vents, paru il y a une vingtaine d'années maintenant et qui se penchait sur la guerre 14-18 - et notamment le tristement célèbre Chemin des dames -, dans un style proche peut-être des Cocteau Twins, mais avec des textes en français et un style bien personnel tout de même ; d'ailleurs à cette même époque j'avais lu je crois Orages d'acier d'Ernst Jünger, et vu l'excellent film de Stanley Kubrick Les sentiers de la gloire, autant d'œuvres sur cette guerre industrielle de l'acier-roi, dont Wagner avait dit qu'il représentait le "joug avilissant du machinisme universel dont l'âme est blême comme l'argent".

    Je me souviens aussi que ces longues plages néo-classiques d'une tristesse infinie, qui ne sont pas sans rappeler certains travaux d'Arvo Pärt, m'avaient ainsi ramené au cycle de gravures traumatique de l'artiste Otto Dix intitulé La Guerre et réalisé en 1924, ainsi qu' au dernier poème de Georg Trakl Grodek, où il écrit "La flamme chaude de l'esprit nourrit aujourd'hui une douleur violente, les descendants qui ne verront pas le jour."

    https://www.youtube.com/watch?v=zEsweNWTRdE

     

    Passé inaperçu dans le dévaloir des publications accompagnant la commémoration du centenaire du début de la Première Guerre mondiale, livres parus parfois dès la fin de l'année 2013, Éclats de 14 est paru lui il y a quelques mois à peine, proposant sous un petit format carré plusieurs textes de Jean Rouaud - à qui l'on doit, entre autre, le livre Champ d'honneur aux éditions de Minuit, récompensé par le Goncourt en 1990 (à noter que la quatrième partie de son cycle autobiographique Une vie poétique sort dans un mois!) -, et accompagné des magnifiques dessins de Mathurin Méheut, réalisés sur le front entre 1915 et 1917. Gide disait que "Tout a été dit, mais comme personne n'écoute, il faut toujours répéter", cependant Rouaud ne se tient pas à la seule répétition ; son texte, écrit dans une langue héritée de Marcel Proust et Claude Simon, peut-être, son texte disais-je est scindé en plusieurs parties distinctes - La guerre du feu, la Guerre de  l'eau, la Guerre de l'air, etc, - et se fait le parfait compagnon d'infortune du roman de 124 pages sobrement intitulé 14 et publié il y a deux ans par Jean Echenoz, qui avait réussi l'exploit  de ramasser, si l'on peut dire, à concentrer la guerre et ses éclats dans les destins croisés de quelques personnages seulement. C'est une approche originale, nouvelle peut-être, terrible sûrement, et bien sûr magnifique que Rouaud nous donne à lire, c'est le livre de cette Europe suicidaire du "monde d'hier" (Zweig), dont la catastrophe, l'hécatombe immense, donnera quelques années plus tard un culte des morts sans précédent...

    "Tout a été dit et redit. La stratégie suicidaire de l'état-major qui prônait l'offensive à outrance envoie des centaine de milliers d'hommes à l'abattoir avec l'idée d'une guerre éclair, d'une guerre haïku en somme, quand on sait ce qu'il en a été, quatre années sous terre, et des milliers de volumes racontant l'horreur, la stupidité d'un général Nivelle organisant la grande tuerie du Chemin des dames, les assauts inutiles pour reprendre Douaumont et au final en faire un ossuaire, la mutinerie des hommes lassés non de se battre mais d'avoir à obéir à des ordres imbéciles, le sauvetage in extremis par l'arrivée des Américains, et puis la grande saignée des campagnes qui se lit sur les monuments, l'effondrement démographique des villages dont certains ne se sont jamais remis, car aux disparus, près d'un sur trois, s'ajoutaient les revenants impotents, gazés, alcooliques, toute une génération entre vingt et quarante ans qui ne serait plus là pour assurer le renouvellement de la population, le déficit d'hommes à marier qui laissait toute une vie de solitude à des milliers de jeunes femmes, lesquelles, tout de noir vêtues en souvenir d'un père, d'un mari, d'un fiancé ou d'un frère, erraient dans les villages au soir de leur vie, ayant parfois du mal à refouler encore cette somme de frustrations qui avait été leur fidèle compagne. Sans oublier le traumatisme des morts en série planant dans les esprits, entretenu par la propagande, au point qu'il semble qu'on ait suspendu ces pendrillons noirs et argent en signe de deuil à l'entrée de chaque commune. On sait. Et comment le pays épuisé baisse définitivement les bras, incapable de soutenir plus longtemps ce rang de grande puissance que lui avait légué les siècles. On sait tout ça. Ce qui est étrange, c'est, un siècle après, d'en être encore à ressasser ce deuil interminable. On pourrait bien sûr dire que la Première Guerre mondiale est l'acte fondateur du XXe siècle, qu'elle donne le "la" tragique, que s'y intéresser ce serait en fait tenter de comprendre les mécanismes historiques qui ont contribués aux exterminations massives qui ont ponctué tout le siècle noir et qui en découlent plus ou moins directement. De manière peut-être à en tirer des leçons. Ce qui serait la version "raisonnable". Mais on peut penser plutôt que la Première Guerre mondiale a un effet de sidération. C'est le dernier conflit classique, deux armées s'affrontant sur le terrain (et on se rappelle comme le "terrain" labouré par les obus, les boyaux, les tranchées, s'est imprimé dans notre imaginaire). Pas de conflit idéologique, pas de déchirement intérieur, la défense du pays, c'est le b.a.-ba de l'engagement. La guerre élémentaire en somme. Après, et ça commence en 1917 en Russie, c'est la couleur politique qui tranche au sein même des peuples, jette les deux bords l'un contre l'autre."

  • La carte postale du jour...

    "Il y en avait, il y a dix ans, de ces choses qui m'intimidaient! La poésie concrète, Andy Warhol, et puis Marx et Freud et le structuralisme - et les voici envolés..., et rien ne doit plus oppresser quiconque si ce n'est le poids du monde."
    - Peter Handke, Le poids du Monde (1980)

     

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    Je me souviens quelle a été ma joie lorsque mon groupe d'alors - Danse Macabre - fut booké en première partie de Norma Loy, près d'Annecy, en 1992 je crois, et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un groupe plutôt distant (bon, la scène "dark" c'est pas non plus la croisière s'amuse...), qui ne ressemblait plus à celui que je connaissais - de la new wave burlesque, inspirée, décadente, ... -, mais tentait vaguement d'imiter les Doors, et puis je me rappelle aussi ce grand rocker tout de cuir vêtu qui vint me voir au bar après notre concert pour me jeter à la figure d'une voix de basse "ta musique c'est de la merde", éructation qui venait non pas de son cœur mais au moins de ses intestins, et qui mit fin à ma carrière sur scène quasi-instantanément.
    Je me souviens aussi d'avoir toujours été perturbé par l'utilisation du saxophone, surtout pour la musique post-punk/new wave, j'en trouvais en effet chez Siouxie (supportable), Siglo XX (acceptable), sur le super 45tours de Carol & Snowy Red Breakdown (convenable) et même chez les Italiens Diaframma et leur Joy Divisionesque album Siberia (recevable), mais encore aujourd'hui, c'est vraiment l'instrument maudit pour moi, allez savoir pourquoi...
    Je me souviens aussi d'avoir toujours été fasciné par cette reprise de L'Homme à la moto, son côté lugubre, son texte scandé avec une voix grave :

     Marie-Lou la pauvre fille l`implora, le supplia
     Dit: `Ne pars pas ce soir, je vais pleurer si tu t`en vas`
     Mais les mots furent perdus, ses larmes pareillement
     Dans le bruit de la machine et du tuyau d`échappement

     Il bondit comme un diable avec des flammes dans les yeux
     Au passage à niveau, ce fut comme un éclair de feu
     Contre une locomotive qui filait vers le midi
     Et quand on débarrassa les débris...

    Avant de partir à Rome, et pour ne pas toucher aux trois livres que j'emporte en voyage (Landolfi, Andritch et Gheorghievski), j'ai décidé de relire en vitesse cet Ultime entretien de Pasolini. Et une fois encore, c'est impressionnant de constater à quel point l'esprit d'analyse de Pasolini est brillant. Comme Clouscard dès les années 70 avec sa critique du libéralisme libertaire, Pasolini dénonçait lui aussi le consumérisme hédoniste et la corruption des consciences, dix ans avant que cette réalité ne s'installe véritablement, pour durer encore d'ailleurs. C'est vraiment un petit livre puissant, à relire régulièrement ; à noter aussi la sortie du film Pasolini d'Abel Ferrara, et puis l'un des plus beaux titres underground dédiés à l'écrivain italien, Ostia (The death of Pasolini) de Coil. Mais je m'égare...

     - Pourquoi penses-tu que pour toi, certaines choses soient tellement plus claires ?

      - Je voudrais arrêter de parler de moi, peut-être en ai-je déjà trop dit. Tout le monde sait que mes expériences, je les paie personnellement. Mais il y a aussi mes livres et mes films. Peut-être est-ce moi qui me trompe. Mais je continue à dire que nous sommes tous en danger.

     - Pasolini, si tu vois la vie de cette manière - je ne sais pas si tu accepteras de répondre à cette question - comment penses-tu éviter le danger et le risque ?

     Il s'est fait tard, Pasolini n'a pas allumé la lumière et il devient difficile de prendre des notes. Nous revoyons ensemble mes notes. Puis il me demande de lui laisser les questions.
     
     - Certains points me semblent un peu trop absolus. Laisse-moi y penser, les revoir. Et puis laisse-moi le temps de trouver une conclusion. J'ai quelque chose en tête pour répondre à ta question. Il est plus facile pour moi d'écrire que de parler. Je te laisse les notes supplémentaires pour demain matin.

     Le lendemain, un dimanche, le corps sans vie de Pier Paolo Pasolini était à la morgue de la police de Rome.

     

  • La carte postale du jour...

    "Nous trouvons de tout dans notre mémoire : elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux."
    - Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe

    dimanche 21 décembre 2014.jpg

     

    Je me souviens d'avoir découvert la musique de The Wake en 1990 avec leur album Make it loud et surtout son titre d'ouverture - English rain - qui reste aujourd'hui encore l'un de mes favoris, puis, en remontant dans leur discographie, j'ai pu constater que leur œuvre reflétait à merveille l'évolution de la pop indépendante des années 80, commençant d'abord avec un album de post-punk aux consonances froides rappelant clairement Joy Division, puis la new-wave synthétique et mélancolique de New Order, subtilement mâtinée de dub, référence que je retrouve dans l'album Here comes everybody justement, jusqu'à Make it loud et un son indie-pop typique de cette fin de décennie.
    Je me souviens bien d'avoir adoré ces pochettes où les Ecossais de The Wake utilisaient les peintures d'El Lissitzky, à savoir le maxi Something outside, de 1983, orné de l'œuvre Battez les blancs avec le coin rouge, et puis sur l'album Here Comes Everybody (ici ré-édité dans un beau coffret où El Lissitzky est une fois de plus à l'honneur), et j'ai pu, au fil du temps, retrouver souvent des pochettes d'albums influencées ou utilisant carrément des peintures de cet artiste russe, comme par exemple l'album Die Mensch Maschine (1978) de Kraftwerk, B-2 Unit (1980) du Japonais Riuichi Sakamoto ou, plus proche de nous, sur le maxi This Fffire (2004) des - eux aussi écossais! - Franz Ferdinand.
    Je me souviens aussi d'avoir toujours trouvé que Here comes everybody pèche par excès de synthé, ce qui le rend un peu difficile d'écoute parce que daté, mais il y a quelques perles dessus, notamment le titre éponyme et son ambiance première mouture de New Order - l'album Movement de 1981, ou plus encore la peel session de 1982 contenant les titres 5-8-6 ou Turn the Heater On, géniaux! -, une ambiance froide et répétitive, une basse dub, une voix lointaine, et un texte qui me fait penser à la fois au Blue Monday de New Order et au Sunday morning du Velvet Underground, magique...

    "The river runs into the sea
     The sun must shine today
     As my imagination is about to slip away
     Milk and honey waiting for me on the other side
     It's early in the morning
     And I thought I heard you
     I miss you
     I miss you"

    Parler du passé, c'est aussi parfois rentabiliser celui-ci. Peter Hook, bassiste de Joy Division puis New Order, l'a fait : livre inintéressant intitulé Unknown Pleasures - Joy Division vu de l’intérieur, qui suit le fil narratif du film d'Anton Corbijn sur Ian Curtis (Control), ainsi que celui sur le label Factory (24hours party people), mal écrit, ronflant, prétentieux (New Order aurait inventé la techno et personne comme "Hooky" ne joue de la basse comme ça - ben voyons), suivi d'une tournée où il joue et chante la totalité du permier album de Joy Division, allant même jusqu'à vendre sur Ebay des 45tours du groupe en immitant la signature de Ian Curtis, 45tours dont il est bon de signaler qu'ils sont parfois parus après la mort du chanteur... mais passons. Bernard Sumner échappe heureusement au côté "bancable" des souvenirs et de la mémoire (sélective) en plaçant son livre non pas dans le genre chronologique  - en 1979 on a fait ça, puis en 1980 ça, etc, ce qui peut-être très ennuyeux - mais plutôt sous une forme thématique. Certains passages de New Order sont ainsi ignorés (on passe très vite sur le premier album par exemple), au profit de détails plus intéressants et surtout plus personnels. J'ai beaucoup aimé lorsqu'il signale cette discussion avec Ian Curtis durant l'enregistrement de Closer, où le chanteur donna quelques signaux de détresse à Bernard en lui expliquant qu'il était à bout, et qu'il aimerait parfois tout arrêter pour aller travailler dans une librairie. C'est aussi toujours intéressant de suivre l'évolution d'un groupe. New Order a d'abord dû survivre à la mort de Ian Curtis et à la fin abrupte de Joy Division, a voulu se détacher de la production de Martin Hannett, puis a désiré plus que jamais (ils l'avouèrent eux-mêmes dans les années 2000) avoir un second Blue Monday, mais n'ont jamais vraiment réussi un tel succès. Ce Chapter and Verse de Bernard Sumner a donc le mérite de l'honnêteté, on y trouve de belles photos, c'est aussi un magnifique hommage à Ian Curtis, et la lecture est agréable (ce n'est pas encore traduit en français, avis aux éditeurs Allia, Camion Blanc, le Mot et le reste...). J'adore le passage des influences, où l'on remarque que le son d'un groupe n'est jamais vraiment "révolutionnaire" mais découle de multiples influences et d'un long travail (Joy Division doivent eux beaucoup à l'album The Idiot d'Iggy Pop, à la chanson Dirt des Stooges ou encore au titre Negativland de Neu!).

    "I'd become interested in electronic music back in the Joy Division days. As a band, we loved Kraftwerk, the inventivness they had, and we'd play "Trans-Europe Express" through the PA before we went on stage. But we were also into disco records by people like Donna Summer and Giorgio Moroder, anything they had a new sound and felt like it was looking forward. We still loved guitars, too, though : The Velvets, Lou Reed, David Bowie, Neil Young and Iggy Pop. The first time I went round to meet Ian at his house after we gave him the singer's job, he said, "Fucking listen to this", put a record on, and the song was "China Girl" by Iggy Pop from The Idiot. He said it had just come out and I thought it was fantastic. There was also the stuff that went back to my youth-club days : The Stones, Free, Fleetwooc Mac, Santana, Led Zep, The Kinks.
     Then Bowie produced the trilogy of albums he made in Berlin, which was infused with a cold austerity, something we could relate to living in Manchester, a place with a very similar vibe. We also liked the B-side of "Heroes" and "Low", pieces of electronic music he'd created along with Brian Eno. I loved it. It was a whole new kind of music to me, one that was moving things on, looking to the future, not the past.
     All these influences were converging at roughly the same time as the equipment was becoming available to put them into practice. I'd experimented with synthetizers with Joy Division, on occasion with Martin Hannett, and has a string synthetizer myself, an ARP Omni II, which i bought because I liked to look of it : I didn't really care what it sounded like. As it happened, it was a string synthetizer, which was fortunate, because I wanted one and it was the only affordable synth on which you could play more than one note at the same time. Most synths at the time were super-expensive, way out of my price range, but one day I saw a magazine called Electronics Today that had a picture of a synthetizer on the front and the legend, "Build this for £50" written over the top of it. I bought the magazine and the kit and from three months stayed up really late putting together my Transcendent 2000. I'd put a film on the TV, usually 2001 or A Clockwork Orange, or a film from the 1940s. I loved the films of Powell and Pressburger ; they were the sort of films I could turn the sound off and have these great images playing ino the night as I soldered away, music on the background."

  • La carte postale du jour ...

    "On prépare les jeunes pour un monde qui n'existera plus lorsque ceux-ci seront adultes." - Madame de Stael*

    patrice robin,minimal compact,une place au milieu du monde,françois bon,duras,de stael

    Je me souviens de cette bande-annonce de l'émission de télé Les Enfants du Rock introduisant Minimal Compact en insistant sur les mots Minimal et Compact pour décrire la musique new-wave hybride de ce groupe originaire de Tel Aviv et résidant alors en Hollande, côtoyant d'autres iconoclastes comme Colin Newman (Wire) ou les américains de Tuxedomoon. Je me souviens entendre l'une de leur chanson dans le film Les ailes du désir, alors que celle-ci n'est pas listée dans la bande originale du film. Je me souviens aussi qu'il fut un temps où la singularité de Minimal Compact accompagnait mes déplacements en bus à l'aller et au retour de mon apprentissage, muni de mon baladeur à cassette, écoutant Samy Birnbach chanter "Facing a mountain and the valley below / Hours of climbing to get down so low / First loves and memories are fading like snow  Where did I come from? / And where do I go? / Oh It takes a lifetime".

    Hybride aussi ce livre de Patrice Robin, qui se compose de références aux ateliers d'écriture, à des textes de Charles Juliet, Artaud, Perec, Baudelaire et tant d'autres. Récit plus que roman, d'une écriture dont la sobriété sert le fond à merveille, rappelant parfois un peu le film de Laurent Cantet "Entre les murs", adapté du roman de François Bégaudeau, mais plus axé sur l'écriture comme possibilité de se trouver une place au milieu du monde. L'échec n'y est pas oublié, et rappelle le rôle que peut encore aujourd'hui jouer l'écriture, et la littérature. C'est un petit livre, magnifique et essentiel car, comme le disait déjà Marguerite Duras il y a vingt ans, "plus personne ne lit, mais tout le monde veut écrire", et écrire cela s'apprend, comme à vivre d'ailleurs, avec du temps :

    "Constatant peu avant les vacances de Noël qu'il n'a pas obtenu en quatre mois un texte digne d'intérêt à partir de son programme habituel, à base d'exercices à contraintes et jeux d'écriture, Pierre se met en quête de propositions plus adaptées à son public. Il lit Tous les mots sont adulte de François Bon, méthode élaborée par l'écrivain à partir d'ateliers menés, entre autres, en collèges de banlieue, lycées professionnels et centres d'insertion, trouve judicieux qu'on y commence par l'écriture d'inventaires, d'un abord plus facile, avant de passer à des textes en prose plus construits. Il apprécie aussi que le travail sur la mémoire y évolue de manière progressive, des souvenirs récents jusqu'aux plus anciens, se dit que cela lui évitera la violence des Je me souviens, exercice qu'il continuera d'utiliser, mais pas avec les nouveaux, pas si tôt. Il aime surtout que la méthode soit bâtie à partir de  textes d'écrivains, Perec, Baudelaire, Artaud, Apollinaire, Kafka, Borges, Khalil Gibran, Charles Juliet..., se procure les livres de ceux qu'il n'a pas lus."

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    * Cité de mémoire, impossible de retrouver cette citation dans mes livres, ni sur le net d'ailleurs, je suis pourtant certain qu'il s'agit bien d'une déclaration de Mme De Stael ;  si quelqu'un connait l'original merci de m'écrire!