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Musique - Page 29

  • La carte postale du jour...

    "Que signifient ces similitudes, recoupements et correspondances ? Ne s’agit-il que d’illusions du souvenir, d’aberration des sens ou d’hallucinations, ou encore de schémas s’inscrivant dans le chaos des rapports humains, incluant tout autant les vivants que les morts, selon un programme qui nous est incompréhensible"

    - W. G. Sebald (Séjour à la campagne, traduit par Patrick Charbonneau, Actes Sud 2005)

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    Je me souviens que le violoniste Gidon Kremer considère ce (fantastique) enregistrement comme l'"essai d'une approche", et que j'ai eu beau l'écouter mille fois, je n'ai pas pour autant fait le tour.
    Je me souviens aussi qu'une dame est entrée dans la librairie alors que j'écoutais ce disque de Bach interprété par Gidon Kremer, qu'elle s'est dirigée de manière préméditée à l'endroit où nous rangeons beaucoup de correspondances d'artistes, d'entretiens, de journaux intimes, qu'elle a saisi un livre puis est venue dans ma direction, l'a brandi en me disant doucement qu'elle aimerait ceci : Lettres à une jeune pianiste, de Gidon Kremer.
    Je me souviens d'avoir été toujours séduit par la plupart des pochettes du label ECM, d'avoir aussi été charmé par ces Sonatas et Partitas de Bach, à la fois austère et riche, et d'avoir été charmé par cette déclaration énigmatique de Gidon Kremer à l'occasion de la sortie de ce disque en 2005 :

    "Il est tout de même étrange qu'en jouant du violon, je voulais en fait m'"éloigner" de mon "outil"... Était-ce une tentative inconsciente de me rapprocher de Bach et son univers - qu'il savait aussi agencer dans un instrument à une voix ? Ou alors était-ce dans le but d'esquiver ce paradigme de la beauté -, pour se vouer à l'esprit du message ? Mais peut-être était-ce aussi à tout autre chose."

    L'outil de travail de Jean-Yves Jouannais est actuellement son cycle de conférences-performances L'Encyclopédie de la guerre. C'est en voulant s'en éloigner qu'il s'en est rapproché, ou réciproquement. Dans ce traité de castellologie littorale, l'auteur de précieux essais comme L'idiotie, Artistes sans œuvres ou encore le sublime L'usage des ruines (parus chez Verticales il y a deux ans - très recommandé!), va discuter des barrages avec Olivier Cadiot, utiliser la fiction, la forme journalistique - et en cela il se rapproche d'Enrique Vila-Matas et son Journal volubile -, mais aussi de la littérature, de son obsession pour les ruines notamment, une forme qui rappelle l'essai De la destruction du regretté Sebald (et du coup donne envie de le relire).
    Jean-Yves Jouannais ne veut pas faire un livre avec ses conférences, il y arrive pourtant indirectement avec ce brillant ouvrage - Les barrages de sable - qui sort fin août chez Grasset et dont voici un court extrait :

    "Les châteaux de sable, je finis par les envisager comme des livres que l'on aurait pu écrire, ou pas, ou partiellement, qui n'auraient pas eu d'ambition artistique, hormis celle de répondre à une obsession, de s'accorder à elle. Les châteaux de sable n'ont pas d'auteur, ils sont des matériaux conducteurs de fable, toujours exactement la même, ont pour vertu cardinale de mesurer le temps et, non seulement font la guerre, mais sont la guerre. Si les châteaux de sable n'avaient pas été la littérature, j'aurais trouvé, dans la littérature justement, milles références aux châteaux de sable. La preuve de l'identité des deux phénomènes, c'est que la littérature avait su traiter, et avait eu le temps de le faire, de tous les aspects, réels, objectifs, comme fantasmés et imaginaires de l'épopée humaine, à l'exception des châteaux de sable. C'est peut-être aussi la raison pour laquelle ma phrase continuait de ne pas me déplaire, parce qu'elle demeurait unique sur cet aspect de la castellologie. S'il m'était venu à l'esprit de compiler les savoirs contemporains comme ancestraux sur cette discipline, mon encyclopédie n'aurait comptée qu'une seule page, composée elle-même d'une unique citations dont j'aurais été l'auteur."

  • La carte postale du jour...

    "En art, il faut croire avant d'y aller voir" - Léon-Paul Fargue

     

    michael gira, sheila heti, angels of light, comment être quelqu'un, julia kent, art, théâtre, peinture

    Je me souviens d'avoir longtemps considéré cet album du groupe de Michael Gira comme la perfection même alors que sortaient, en cette année 1999, d'autres disques fantastiques comme Anthems from the pleasure park de Backworld, Music to play in the dark de Coil, Eye of the hunter de Brendan Perry ; l'apocalypse aurait pu arriver en cette fin d'année que je n'en aurais pas été moins heureux.
    Je me souviens d'avoir découvert avec un peu de retard que Julia Kent jouait du violoncelle sur cet album, ce qui a renforcé mon admiration pour ce disque d'Angels of Light et pour cette musicienne admirable.
    Je me souviens d'un concert de Michael Gira à l'Usine de Genève en octobre 2007, très intimiste, de ma rencontre avec cet homme fort sympathique à qui j'ai offert un CD (celui de Julia Kent), de l'ambiance enthousiaste ce soir là, tout ça et plus encore revient à moi quand j'écoute les premières mesures de ce magnifique New Mother, et lorsqu'arrive la voix profonde de Michael Gira sur le titre Praise your name :

    Where are you wounded girls with
     bruised faces and blackened eyes?
     Break open your glass doors
     and welcome the whirling debris.
     Carve your name there
     in the marble and concrete.

    Sheila aussi est une fille blessée. Dans ce roman qui sort le 21 août prochain, Sheila Hieti use et abuse - mais dans le bon sens du terme pour peu que cela soit possible - de l'autofiction pour brosser le portrait d'une jeune génération d'artistes qui court après la vie, la notoriété, l'amour. De Toronto à Miami en passant par Paris et New-York, voilà bien une sympathique comédie écrite dans un style relâché oscillant entre les confessions, le journal intime, la pièce de théâtre (excellents dialogues!) et parfois même l'essai sur l'art. Une écrivaine attanchante aux faux airs de Suzanne Vega croisée avec Beth Gibbons, qui ne cache pas son jeu, pour un livre qui ne s'adresse pas uniquement aux trentenaires amateurs d'art et aux hypsters, quoique... :

    "Je reconsidérais toujours mes décisions, changeais toujours d'avis. Je retournais sur le mauvais chemin, puis me lançais sur celui don't j'espérais qu'il fut le bon. Le destin devenait un parent opaque, exigeant, peu communicatif, et j'étais son enfant, essayant toujours de lui plaire, de deviner ses attentes. J'essayais de trouver sur son visage des indices pour comprendre l'attitude qu'il attendait  de moi. Dans tout ça, une question plus générale ne quittait jamais mon esprit, une problématique en cours qui ne serait jamais résolue, même si j'espérais qu'elle le fut un jour : quelle était la bonne façon de réagir face aux gens ? À qui devrais-je adresser la parole en soirée ? Comment fallait-il que je sois ?
     Mais en guise de réponse, l'univers ne me donna aucun signe clair. Cela ne m'empêcha pas de chercher, ou de croire que le monde était porteur de réponse. C'est ainsi, en un sens, que je passais tout mon temps, car comment faire autrement pour être aimée de l'univers ? Si je m'y prenais mal, je perdrais sûrement toutes ses faveurs, toute sa protection - comme si l'univers était enchanté que j'adopte un certain type de comportement."
     

  • La carte postale du jour ...

    "Je préfère me débarrasser des faux enchantements pour pouvoir m'émerveiller des vrais miracles." - Pierre Bourdieu

    eric chauvier, contre télérama, minny pops, temps, time, allia, factory

    Je me souviens de cet entretien lu dans un magazine où Daniel Miller (fondateur du label Mute) expliquait qu'à la fin des années septante produire de la musique synthétique était définitivement plus punk que faire du (punk)-rock - et ô combien je lui donne raison encore aujourd'hui, surtout quand j'écoute Minny Pops et leur musique synthétique minimale aux tons gris-noir.
    Je me souviens avoir pensé que Minny Pops n'était pas un groupe new-wave comme Orchestral Manoeuvres in the Dark, ni post-punk comme Joy Division, encore moins de no-wave new-yorkaise comme Circus Mort (le groupe de Michael Gira avant les Swans), mais que pour ces néerlandais là le terme de Dada-muzak était le plus approprié peut-être.
    Je ne me souviens pas avoir jamais vraiment "craqué" pour un titre en particulier de Minny Pops, à part peut-être ce Time au refrain basique, et donc entêtant :

    "Wasting, wasting time-time
    we are wasting, wasting time-time,
    we are wasting, wasting time-time,
    we are wasting precious time-time"

    Je n'ai par contre pas perdu mon temps à lire cet excellent petit livre d'Eric Chauvier qui en 52 entrées (Culture, Nuit, Musique, ...) dresse un portrait d'une "zone périurbaine". Son regard est celui d'un anthropologue, ses références sont Adorno, Michel de Certeau et Marcuse, et c'est en adoptant le genre de la fiction littéraire qu'il arrive à cerner tout le complexe d'une banlieue pavillonnaire comme il en existe tant dans les pays occidentaux. C'est génial (et je réjouis de la sortie imminente de son prochaine livre : Les mots sans les choses, toujours chez Allia, trois fois hourra!) :

    "TEMPS. - Un peu comme on se réveille d'un mauvais rêve, nous nous sommes rendu compte, après avoir décidé de nous arrêter sur notre mode de vie et de réfléchir à notre existence dans ce cadre périurbain, que notre temps s'égrenait au rythme du flux des voitures circulant dans notre rue. Nous avions, certes, des repères de type chronologique, mais ceux-ci n'étaient que la surface illusoire de notre existence. De façon plus profonde, notre temps est rythmé de manière quasi inconsciente par les bruits des voitures aux heures de pointe ou bien le calme total qui, aux heures creuses, s'abat sur notre rue comme sur un enterrement."

  • La carte postale du jour ...

    "Tous les autoportraits, tous les mémoires ne sont que des impostures conscientes, ou, plus tristement encore, inconscientes."

    - Henri Laborit, éloge de la fuite (1976)

    tones on tail, roberto arlt, bauhaus, daniel ash, peter murphy, l'écrivain raté

    Je me souviens avoir acheté ce disque pour sa pochette minimale, j'étais certain qu'elle serait du plus bel effet aux côtés de celle toute verte et tout aussi simple du premier maxi de New-Order : Ceremony.
    Je me souviens qu'il fallait autrefois choisir sa chappelle : Rolling Stones ou Beatles, guitare ou synthé', rock 'ricain ou pop britannique, je me suis alors demandé s'il fallait choisir entre les membres de feu-Bauhaus : le dédaigneux mais génial compositeur Daniel Ash (Tones on Tail) ou le dandy magnifique mais arrogant Peter Murphy, comme s'il fallait toujours choisir entre fromage et dessert et que si vous aviez le malheur d'opter pour les deux, vous passiez pour une personne sans tact ni délicatesse, tiède et consciliante, sans personnalité. Mais comme je m'en fous, j'ai finalement choisi les deux.
    Je me souviens avoir eu le béguin pour Lions de Tones on Tail dès sa première écoute, pour son ambiance samba synthétique et dépressive, la voix douce quoique insidieuse de Daniel Ash, et puis cette phrase récurrente :

    Lions always hit the heights
    'Cause they kill, it's always been an easy way out

    La solution de facilité c'est aussi celle choisie par le narrateur de L'Écrivain raté, ce court texte de l'argentin Roberto Arlt. Devant la page blanche il choisit de fonder d'abord un club des non-écrivains, puis de devenir critique littéraire pour dénigrer ceux qui écrivent encore... Satire anarchisante de la République des lettres, ce texte est un petit joyau.

    "Nous mîmes au clair, sans que le moindre doute puisse subsister, que les génies officiels, les talents consacrés, c'était du baratin, et d'une lâcheté exemplaire. La menace d'un brûlot, l'insinuation d'une critique anticipée suffisaient pour que, malgré le fait qu'ils détestent notre jeunesse agressive, ils nous sourient amicalement en nous voyant et viennent à notre rencontre, nous adressant les éloges les plus grossiers et l'adulation la plus servile.
     Que notre oeuvre soit négative ne nous empêcha pas de révéler courageusement les escroqueries des bandits de la littérature ; nous démontrâmes que le romancier se vendait au breutteur d'idées, le poète à l'essayiste, constituant ensemble un ramassis d'épouvantables truands - qui adulaient sans réserve les politiciens, les hommes d'épée, troquant leurs scupuleuses besognes de laquais contre des prix bien réels qui provoquaient le rire du cercle des spectateurs. Quelle vie, mon Dieu, quelle vie !
     Là se dissipèrent le peu d'illusions qui me restaient encore sur la dignité humaine. La technique n'avait rien à voir avec l'homme. Ceux qui écrivaient une belle strophe étaient la plupart du temps des latrines ambulantes.
     Cette désillusion nous contamina tous, et un jour nous nous séparâmes. Notre cohésion résista aussi longtemps que les soudures de l'échec nous unirent.
     Pour finir, nous nous lassâmes de sévir dans le vide. Certains étaient excédés par les autres, et même un tantinet honteux des petites canailleries que nous avions commises en nous prévalant de l'impunité conférée par l'associaition des forces. L'homme finit par se fatiguer de tout, même de cracher à la figure de son prochain. Il faut convenir ici que nos insultes procédaient d'une bonne intention, mais il n'est pas possible d'être généreux éternellement, et nous nous dispersâmes. Deux ans étaient passés, peut-être plus."

  • La carte postale du jour ...

    "Comme la possession d'animaux sauvages est interdite par la loi et que je n'ai aucun plaisir aux animaux domestiques je préfère rester célibataire." - Karl Kraus

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    Je me souviens avoir été conquis par la voix sensuelle d'Anita Lane pour son interprétation du titre de Lee Hazlewood : These boots are made for walkin' repris par Barry Adamson en 1991, puis, peu après, pour avoir chanté la version anglaise de Blume des Einstürzende Neubauten, qui reste, aujourd'hui encore, un de mes titres favoris.
    Je me souviens avoir souvent associé la voix d'Anita Lane à celles d'Hope Sandoval (Mazzy Star) et Jennifer Charles (Elysian Fields) pour cette tendance à me faire fondre tel un glaçon dans une vodka chaude.
    Je me souviens m'être souvent demandé si la chanson The world's a girl était dédiée à Nick Cave avec qui elle avait eu une longue relation durant le début des années 80, à cause du texte bien sûr :

    When my protests went wild
     You brushed me aside
     Like the finger of a child
     When I closed my eyes
     You took me from the pedestal
     Down to the abyss
     My soul was but consumed
     I thought you were inspired
     But you were just possessed
     

    Possédée l'était aussi Helene Hanff, une Américaine si éprise des livres et de la lecture qu'elle fit appel en 1949 à la librairie anglaise Marks & Co. pour lui trouver des éditions rares qui l'obsédaient. La relation épistolaire entre cette grande lectrice et ces libraires qui deviendront ses amis révèle les personnalités des uns et des autres, mais aussi le cadre historique, l'Angleterre d'après-guerre, encore rationnée, et la difficulté de trouver certains livres au Etats-Unis. Un petit livre bien attachant, surtout lorsqu'Helene se lâche dans certaines lettres, comme celle-ci :

    "24 mars 1950

    Eh, Frank Doel, qu'est-ce que vous FAITES là-bas ? RIEN du tout, vous restez juste assis à ne RIEN faire.
     Où est Leigh Hunt ? Où est l'Anthologie d'Oxford de la poésie anglaise ? Où est la Vulgate et ce bon vieux fou de John Henry ? Je pensais que ça me ferait une lecture si robotative pour le temps du carême, et vous, vous ne m'envoyez absolument RIEN.
     Vous me laissez tomber, et j'en suis réduite à écrire des notes interminables dans les marges de livres qui ne sont même pas à moi mais à la bilbiothèque. Un jour ou l'autre ils s'apercevront que c'est moi qui ai fait le coup et ils me retireront ma carte.
     Je me suis arrangée avec le lapin de Pâques pour qu'il vous apporte un Oeuf, mais quand il arrivera chez vous il découvrira que vous êtes mort d'Apathie.
     Avec le printemps qui arrive, j'exige un livre de poèmes d'amour, pas Keats ou Shelley, envoyez-moi des poètes qui peuvent parler d'amour sans pleurnicher - Wyatt ou Jonson ou autre, trouvez vous-même. Mais si possible un joli livre, assez petit pour que je le glisse dans la poche de mon pantalon pour l'emporter à Central Park.
     Allez, restez pas là assis ! Cherchez-le ! Bon sang, on se demande comment cette boutique existe encore."