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Science - Page 2

  • La carte postale du jour...

    "Le problème de notre temps, c'est que le futur n'est plus ce qu'il a été."
    - Paul Valéry
     

    dimanche 30 août 2015.jpg

     
     
    Je me souviens d'avoir remarqué Lubomyr Melnyk très tardivement, il y a à peine quelques années, sur un disque de James Blackshaw où les deux musiciens se laissaient aller à des compositions fluides, répétitives et minimales, qui m'ont fait penser à certaines pièces de Steve Reich ou plus précisément à ce titre de Philip Glass intitulé Opening, que le cinéaste Bertrand Bonello a par ailleurs utilisé de manière saisissante pour marquer la mélancolie qui enveloppe le protagoniste joué par Jean-Pierre Léaud (dans Le Pornographe).
     
    Je me souviens bien d'avoir été très heureux de constater qu'en 2015, il m'est encore possible de trouver des disques qui me semblent réussis de bout en bout, œuvre d'art presque totale, comme ce disque de Lubomyr Melnyk dont la "musique continuelle" se pare de touches de violon, d'arpèges discrets de guitare, tout cela grâce à l'apport tout en douceur des musiciens Peter Brodenik et Martyn Heine, ce qui fait de ce Corollaries un chef-d'œuvre.
     
    Je me souviens aussi d'avoir bien apprécié le visuel de ce disque, d'autant plus que la pochette extérieure a cette originalité (et même rareté) d'être découpée, laissant apparaître selon la manière dont vous rangez les deux disques vinyles qui s'y trouvent, les dessins ou les textes des pochettes intérieures, et lorsque celles-ci sont sorties, il est possible enfin de découvrir le texte gravé dans l'arrière-fond :
     
    between two floors
    my dreams and yours
    following a friend
    foregoing the end
    from the hammers to the ears
    we invite our fears
    to sing outside
    little spaces turn wide
    and on the first try
    when the keys don’t cry
    we find a place
    time’s only race
    with pockets of light chasing the night
     
    Dans une rentrée littéraire on peut participer à la "grande fête", au risque notoire de penser rugir comme un lion à la découverte d'un livre "fantastique" (ou "le plus étonnant de cette année" comme il est dit de chaque livre dans chaque émission de la Grande Librairie - ça fait beaucoup de livres les plus étonnants de l'année au final...), auquel on prêtera des vertus imaginaires du seul fait que son nom se trouve dans toute la presse généralisée, alors qu'on est simplement en train de bêler comme un mouton (parmi d'autres moutons). Ou alors on peut prendre les chemins de traverse... Chose faite avec ce nouveau livre de François Dominique dont j'avais déjà beaucoup apprécié plusieurs ouvrages : le roman publié il y a quelques années aux éditions Verdier, Solène, le magnifique récit intitulé À présent, Louis-René des Forêts, où il revenait sur sa relation d'amitié avec l'auteur décédé fin 2000, et, plus lointain cette fois, un très bel essai, Maurice Blanchot, premier témoin. Mais revenons à Solène, dont ce nouveau livre, Dans la chambre d'Iselle, est presque la suite. Dans ce roman fantastique, qui se situe dans un futur post-apocalyptique (de grands séismes), après une dictature, après la presque disparition de la race humaine par manque de fertilité, on retrouve sans cesse des liens avec le passé, qui est pour nous, lecteurs, le présent immédiat, comme en page 24 où l'on peut lire : "Cet homme, muré dans son passé, nous représente ce qui décline ; mais son obstination, comme celle de milliers d'autres, nous a valu le progrès qui s'épanouit maintenant."
    François Dominique prend son temps pour nous décrire à la façon d'un Jules Verne la nature telle qu'elle est dans le futur, les habitations, le conflit entre moderne et ancien, les religions disparues qui tentent une réapparition, le capitalisme vaincu, mais il perd aussi son lecteur de façon préméditée en l'entraînant dans des intrigues non résolues, nombreuses tout au long du roman, même si le fil conducteur est l'enfant que Lucy et Franck attendent. Après la naissance, et comme dans Solène, il apparaît d'ailleurs que l'enfance est quelque chose d'inquiétant dans le futur, presque un danger... Et puis le roman est enveloppé de façon permanente par la musique, celle de Beethoven, Tchaïkovski et Ravel, mais celle de l'auteur aussi, qui, d'une plume sobre et soignée, sait accompagner le lecteur dans le futur sans passer par les chemins défoncés par le trop de trafic de la science-fiction telle qu'on la connaît habituellement.
    À l'heure de la "panne de l'imaginaire", où chaque écrivain tente souvent (parfois de manière réussie, tout de même) d'écrire son présent (ou parfois de le décrire, c'est quand ça rate), ce nouveau roman de François Dominique fait office d'ovni littéraire - vous me pardonnerez le kitsch de cette formule, elle est pourtant parfaitement adaptée à ce roman qui, dans la dernière partie, la plus palpitante peut-être, se passe à Genève (pour l'anecdote).
     
    Extrait de Dans la chambre d'Iselle, de François Dominique, publié aux éditions Verdier :
     
    "Dans le bac d'une échoppe, j'avise trois liasses entourées de rubans aux couleurs passées. Un marchand bossu s'approche de moi et murmure sur un ton engageant : "Lettres d'amour, cher monsieur! Très recherché !" Il énonce un prix exorbitant- "Vous plaisantez! C'est bien trop cher! - Vous connaissez l'antique adage qui a survécu à la funeste époque des banques : Ce qui est rare est cher ! Que cherchez-vous ? - Rien, je ne sais pas... Je suis musicien ; la musique est chargée d'histoire, mais je ne cherche pas les traces du passé ; ce qui me fascine en musique, c'est l'avenir immédiat, la phrase musicale qui vient, celle que l'on attend... - Hélas, je n'ai aucune partition manuscrite, cher monsieur. Ça n'existe plus ! Ça ne se trouve pas ! Et ne comptez pas sur moi pour vous dénicher les partitions de l'avenir... Je ne suis pas magicien ! Je suis un simple vendeur de vieux papiers, pour vous servir!" J'écoute à peine le marchand, car une pensée m'obsède : "La musique défile dans le temps", ou bien "la musique défie le temps", ou bien encore "la musique, fille du Temps"... "
     
  • La carte postale du jour...

    "La réponse individuelle, le "retrait du monde", n'a aucun effet sur le système. Au contraire, ces désengagements du monde lui permettent d'autant plus de prospérer. Voyez les Etats-Unis : les Amish ici, les réserves indiennes là... chacun dans son coin, comme au zoo ! Seule une institution peut organiser un agir commun. Ce parlement virtuel, Internet - fleuron de notre mode de vie contemporain - pourrait nous aider à le construire. Cela n'a rien d'utopique."
    - Mark Hunyadi, auteur de La Tyrannie des modes de vie (2015), passage d'un entretien dans le Télérama nr 3410 (mai 2015)

    mardi 9 juin 2015.jpg

    Je ne me souviens même plus comment et quand précisément j'ai découvert Superthriller mais depuis quelques mois ce groupe anglais loufoque est devenu l'un de mes favoris et The Internet l'hymne de mon vingt et unième siècle qui tourne chaque jour sur ma platine.

    Je me souviens bien que j'ai rigolé un bon coup en découvrant le site internet du groupe et l'annonce de leur album à venir avec "plus d'historiettes sur le déclin de la culture pop telle que nous la connaissons et l'avènement de Spotify et de l'autoroute de l'information" !

    Je me souviens aussi que cette ritournelle pop hybride et synthétique, qui louche à la fois vers Kraftwerk et Beck, pointe de manière amusante vers le fait qu'Internet simplifie l'accès au monde en débarquant celui-ci dans nos salons (ou chambres), permettant aussi d'envoyer des bouteilles à la mer, comme je le faisais à seize ans avec mon premier fanzine photocopié (à douze exemplaires) et maintenant avec ce blog ; et c'est quand même bien pratique.

     

    If you are far, far away
    I don't got no money to call you
    I just tune you in, yeah
    it's on the internet
    just like me, on the internet
    that's where I get to be

    just like me, just like me, just like me, just like me...
    on the internet

     

    https://www.youtube.com/watch?v=kdhoZZrTU7k

     

    C'est les vacances. J'ai acheté pour une semaine de riz, de pâtes et de légumes frais (le resteront-ils assez longtemps?), de quoi tenir une bonne semaine sans - si possible - sortir de chez moi. J'aime mon chez moi mais j'avoue avoir toujours du mal à prétexter qu'on est mieux chez soi tout seul pour décliner une invitation à manger ou pour un film au cinéma, une pièce de théâtre... - c'est toujours carrément mal vu. Cet essai de la Genevoise (résidant maintenant à Paris) Mona Chollet tombe à pic. Elle y exprime "la sagesse des casaniers, injustement dénigrés", en citant pêle-mêle des blogs, des sociologues, des ethnologues, en passant par la littérature - Gontcharov et son fameux Oblomov, Alberto Manguel, Xavier de Maistre (auteur du Voyage autour de ma chambre), Chantal Thomas, ... -, sans oublier de parler de la difficulté aujourd'hui de trouver un logement décent, pas trop éloigné de son travail, et à prix correct. Quel rapport entretenons-nous avec le "chez soi" quand, effectivement, on passe environ 12 heures à l'extérieur de ce dernier et que la vie prend une tournure métro-boulot-dodo. Mona Chollet se penche aussi sur Internet, qui loin de nous désolidariser du monde, nous ouvre en effet les portes de celui-ci, dans le confort de notre chez nous. Bémol toutefois : Internet est aussi un objet de distraction, et entraine souvent la procrastination. Qui n'a pas arrêté la rédaction d'un texte pour aller "surfer" un peu, ou, en quête d'informations sur, par exemple, Marie Stuart, ne s'est pas retrouvé, de liens en liens, de rebondissements et rebondissements, à regarder une vidéo musicale sur YouTube ? qui n'a finalement aucun rapport avec Marie Stuart ! L'architecture, la sociologie, la philosophie, etc. Mona Chollet prend toutes les routes possibles pour tenter une ébauche d'explication du "chez soi" aujourd'hui ; sa valeur, son coût aussi. Un essai intelligent, comme je les aime.

    Deux extraits de Chez  soi, une odyssée de l'espace domestique, de Mona Chollet :

     

    "Aimer rester chez soi, c'est se singulariser, faire défection. C'est s'affranchir du regard et du contrôle social. Cette dérobade continue de susciter, y compris chez des gens plutôt ouverts d'esprit, une inquiétude obscure, une contrariété instinctive. Prendre plaisir à se calfeutrer pour plonger son nez dans un livre expose à une réprobation particulière. "Tout lecteur, passé et présent, a entendu un jour l'injonction : "Arrête de lire ! Sors, vis !"",constate Alberto Manguel. En français et en allemand, le mépris des "fous de livres", cette créature chétive et navrante, a donné naissance à l'image peu flatteuse du "rat de bibliothèque", qui, en espagnol, est une souris, et en anglais carrément un ver (bookworm), inspiré du véritable ver du livre, l'Anobium pertinax. C'est un fond irréductible d'anti-intellectualisme qui s'exprime là. Ce peu de confiance et de crédit accordé à l'activité intellectuelle se retrouve dans le milieu journalistique. Il explique cette tendance à minimiser l'importance du bagage personnel que chacun se constitue et enrichit continuellement - ou pas - et à faire plutôt du terrain une sorte de deux ex machina. 
    ...
    Les écrivains, ou les artistes en général, sont aussi les seuls casaniers socialement acceptables. Leur claustration volontaire produit un résultat tangible et leur confère un statut prestigieux, respecté (à ne pas confondre toutefois avec une profession, puisque la plupart gagnent leur vie par d'autres moyens). Il faut le bouclier de la renommée pour pouvoir déclarer tranquillement comme le faisait le poète palestinien Mahmoud Darwich :
    "J'avoue que j'ai perdu un temps précieux dans les voyages et les relations sociales, je tiens à présent à m'investir totalement dans ce qui me semble plus utile, c'est-à-dire l'écriture et la lecture. Sans la solitude, je me sens perdu. C'est pourquoi j'y tiens - sans me couper pour autant de la vie, du réel, des gens... Je m'organise de façon à ne pas m'engloutir dans des relations sociales parfois inintéressantes"."

  • La carte postale du jour...

    "Hélas ! les Portes de vie ne s'ouvrent jamais que sur de la mort, ne s'ouvrent jamais que sur les palais et sur les jardins de la mort... Et l'univers m'apparaît comme un immense, comme un inexorable jardin des supplices... Partout du sang, et là où il y a plus de vie, partout d'horribles tourmenteurs qui fouillent les chairs, scient les os, vous retournent la peau, avec des faces sinistres de joie..."
    - Octave Mirbeau, Le Jardin des Supplices (1899)

    dimanche 10 mai 2015.jpg

    Je me souviens d'entrer dans un appartement, à la rue Voltaire, lieu appartenant à une connaissance dont la mère fut l'une des première à vendre des quarante cinq tours punk dans le dernier tiers des années septante (et fut boycotée par certains distributeurs suisses qui refusaient de vendre "ça"), et de m'extasier devant les posters de Siouxsie & The Banshees qui recouvraient non seulement les murs du hall d'entrée, mais aussi le plafond ! puis d'être retombé les pieds sur terre quand l'homme en question m'a asséné, tel un coup de poing dans le dos, avoir été fan de Siouxsie jusqu'au troisième album, en 1980, parce qu'ensuite "c'est rien que de la MERDE!" - je l'avais trouvé un peu catégorique quand même.

    Je me souviens bien d'avoir été enchanté de retrouver la trace de Kaleidoscope (troisième album sorti en 1980) chez Santigold - sample de Red Light pour son titre Superman, en 2008 -, Jérémie Jay - reprise du cryptique Lunar Carmel dans une version entre Interpol dès débuts et The XX -, et Celluloide avec leur reprise électro-pop/minimal-wave de Happy House.

    Je me souviens aussi d'avoir trouvé que le titre Kaleidoscope reflétait vraiment bien cet album de Siouxsie & The Banshees en développant toute une palette musicale hétéroclite et singulière à la fois, et que, pour moi, ce disque est devenu une référence post-punk classée dans mon top 10 près de Joy Division et Wire, et que je l'écoute encore souvent d'ailleurs, surtout le titre Happy House et son ironie pétillante, sa cruauté joyeuse...

     

    This is the happy house, we're happy here in the happy house
     Oh, it's such fun, fun, fun
     We've come to play in the happy house
     And waste a day in the happy house, it never rains, never rains


    We've come to scream in the happy house
     We're in a dream in the happy house
     We're all quite sane, sane, sane
     This is the happy house-we're happy here


    There's room for you if you say "I do"
     But don't say no or you'll have to go
     We've done no wrong with our blinkers on
     It's safe and calm if you sing along, sing along, sing along


    This is the happy house, we're happy here in the happy house
     To forget ourselves and pretend all's well
     There is no hell


    I'm looking through your window
     I'm looking through your window

    https://www.youtube.com/watch?v=amR6-neQBPE

     

    Elif Batuman est une nord-américaine d'origine turque qui a été confrontée au choix - bien malgré elle - entre critique littéraire et création littéraire suite à une résidence d'écriture où on lui dit que c'était l'université ou le métier d'écrivain - mais pas les deux. Tombée sur des écivains en herbe "rassemblés dans une remorque autour d'un chauffage d'appoint" et qui portaient tous "des chemises à carreaux et des lunettes à grosse monture plastique", Elif est saisie par un sentiment de vacuité, décline l'invitation en résidence et se décide pour l'Université car elle ressent la littérature non comme un artisanat "fait main" et destiné à une minorité d'élus - un cénacle qui n'est en définitive composé que de ces mêmes écrivains qu'elle a rencontré brièvement -, mais qu'elle imagine plutôt l'écrit comme un art, une profession, une science même. Le hasard lui fait prendre les cours de littérature russe, lesquels vont rapidement la passionner, voir même la posséder puisqu'elle est parvenue à en faire ce merveilleux livre qui est le produit d'environ dix ans d'études, colloques, déplacements, recherches, et qui est à la fois un récit de voyage, une autobiographie et un essai de critique littéraire. Si on passe par certaines universités américaines, par la Turquie aussi, on notera surtout toute la partie très enrichissante (et pour moi quasi-inconnue) en Ouzbékistan, où l'on découvre que cet ancien satellite de la Russie recèle beaucoup de similitude au niveau de la langue avec le turque.

    Ce qui est bien avec ses "Aventures avec la littérature russe et ceux qui la lisent", c'est qu'Elif Batuman relie toujours son récit à un ou plusieurs livres, en donne des citations, et le compare à d'autres écrits. On en sort plus intelligent et, bien souvent, avec le sourire, avec l'envie d'ouvrir (à nouveau) les livres de Pouchkine, Dostoïevski ou encore Babel. C'est qu'Elif cultive un rapport décomplexé avec la littérature, ce qui donne au livre cette touche particulièrement généreuse, ludique parfois même. Véritablement habité par cette lecture - possédé oserais-je dire... -, on redécouvre Tolstoï lors d'un captivant passage sur un colloque organisé à Yasnaïa Poliana, la maison de l'écrivain, qui se termine amèrement après un épisode malheureux (et scatophile). Et puis ce livre est une véritable chance : celle de découvrir la littérature russe pour les uns, ou de la redécouvrir pour les autres, ceux qui la lisent déjà, et ils ont bien raisons. C'est aussi un vrai bonheur de passer par Samarcande, lieu au nom si évocateur, si magique, ou encore de passer une nuit dans la mythique maison de glace de Saint-Pétersbourg ! C'est d'ailleurs l'un de mes chapitres favoris, avec l'Impératrice Anna Ivanovna qui était connue pour sa laideur effrayante et qui collectionnait les êtres difformes et monstrueux - ainsi que les nains. Anna Ivanovna était d'une cruauté très originale, ce qui en fait un sujet fascinant car elle était "la rejetone d'une dynastie sur le déclin, corrompue par les manigances, l'amour sensuel, et des notions à moitié comprises de zoologie" et qu'elle ne "grandira jamais." - Les Possédés est un bel hommage à la littérature russe, et un beau récit de voyage. Fortement recommandé.

     

    extrait de Les Possédés (Mes aventures avec la littérature russe et ceux qui la lisent), de Elif Batuman :

     

    "La maison de glace n'avait pas été bâtie dans un but précis mais pour plusieurs raisons assez floues. C'était un instrument de torture, une expérience scientifique, un musée ethnographique, une œuvre d'art. C'était un désastre figé, une inondation momentanément sous contrôle, une maison hantée, et, avec son cercueil transparent, sa parodie de prince et ses nains, un conte de fées perverti. Chargé d'infinies significations comme l'objet d'un rêve, la maison de glace ressurgit dans les poèmes oniriques. On pense qu'elle a inspiré Coleridge dans "Kubla Khan" le "lumineux palais des plaisirs aux cavernes de glace". Thomas Moore, le satiriste du dix-neuvième-siècle, fit le récit d'un bal onirique organisé par le tsar Alexandre 1er auquel fut conviée l'intégralité de la Sainte-Alliance. Lorsque le château et ses occupants se mettent à fondre, "des mots tels que "constitution", figés jadis dans la glace du silence", commencent à s'écouler de la langue du roi de Prusse."

  • La carte postale du jour...

     

    "La véritable élégance consiste à ne pas se faire remarquer"
    - George Bryan Brummel

    vendredi 1 mai 2015.jpg

    Je ne me souviens pas clairement quand j'ai découvert Red House Painters, mais ayant toujours été un grand admirateur du label 4ad (autant que Factory et pour des raisons similaires, esthétiques principalement), j'avais acheté ce disque en format digipak-CD il y a longtemps déjà (et trouvé récemment en vinyle - joie!), et plus les années passaient, plus j'adorais leur musique qui était - peut-être à cause de ses lenteurs forcées et des impressions d'entendre l'écho lointain de cette musique, plus que la musique elle-même -  la bande sonore parfaite pour le Berghof , le sanatorium où Hans Castorp - protagoniste de la Montagne magique, le roman de Thomas Mann - réside sept ans dans une torpeur toute particulière.

    Je me souviens bien que ce groupe qui piétinait à la porte du grunge au début des années 90, se désolant que personne ne fasse attention à eux - leur musique étant trop lente, trop triste peut-être -, avait en désespoir de cause donné une de leurs cassettes démo au chanteur Mark Eitzel, qui l'avait ensuite donnée à Ivo, le directeur du label 4ad, qui l'avait écoutée dans sa voiture sur le chemin de son bureau, et qui en avait été si étonné, en était tombé si éperdument amoureux, qu'il l'avait immédiatement rembobinée pour la réécouter avant de téléphoner au chanteur des Red House Painters - Mark Kozelek - pour lui proposer un contrat, surprenant ce dernier dans son bain alors qu'il ignorait tout ou presque du label 4ad, mais heureux qu'enfin le groupe puisse réaliser un premier disque.

    Je me souviens d'aussi avoir lu dans un livre sur le graphiste attitré (autrefois) de 4ad, Vaughan Oliver, qu'à la base ce dernier voulait utiliser une photographie de sabot de vache (!) pour la pochette de Down Colorful Hill, mais que Mark Kozelek avait préféré cette photo' d'un lit dans une chambre, prise par Simon Labalestrier, et dont le ton général rappelle pas mal de pochettes des Pixies, alors que l'ambiance qu'elle dégage a quelque chose d'intime et presque solennel, illustrant à merveille ce disque dont les chansons sont délicates et profondes, avec durée moyenne de huit minutes pour chacune d'elles, captivant (ou pas) l'auditeur, surtout sur le magnifique titre introductif, 24 :

    So it's not
    Loaded stadiums or ballparks
    And we're not kids on swing sets
    On the blacktop

    And i thought at fifteen that i'd
    Have it down by sixteen
    And 24 keeps breathing at my face
    Like a mad whore
    And 24 keeps pounding at my door

    Like a friend you don't want to see
    Oldness comes with a smile
    To every love given child
    Oldness comes to life

    The youth, they dream suicide
    Oldness comes with a smile
    To every love given child
    Oldness comes to life


    https://www.youtube.com/watch?v=1vhtpAIbIpQ


    On est certain de sortir des livres de Pascal Quignard avec une liste de disques à écouter, de livres à lire, de notes à contrôler - c'est toujours enrichissant, quoique exigeant. Ayant quitté il y a quelques années le comité de lecture de Gallimard pour ne plus avoir à juger les écrits des autres et se consacrer à sa propre écriture seulement, sa production a augmenté sensiblement. C'est ainsi que, parallèlement à la sortie du très intéressant Critique du jugement paru chez Galilée, le flâneur littéraire trouvera sur les tables des librairies bien achalandées ce petite texte paru aux éditions Arléa : Sur l'idée d'une communauté de solitaires. Pascal Quignard fait l'éloge de la rareté en évoquant à la fois ses souvenirs d'enfance dans les ruines de Port-Royal et en puisant dans son érudition, musicale notamment. Si comme moi vous êtes adeptes de citations vous ne serez pas en reste : "Monsieur de Pontchâteau avait toujours ce mot de l'Imitation à la bouche : "Quaesivi in omnibus requiem, et nusquam inveni nisi in angulo cum libro." Je vous le traduis en français : J'ai cherché partout dans ce monde le repos - le requiem -, un abandon, une halte, et je ne l'ai nulle part trouvée que dans un coin avec un livre." Ce que propose Pascal Quignard est singulier, poétique, il y développe une pensée généreuse, qui prend son temps, ce qui est forcément rare aujourd'hui. C'est aussi un petit livre où j'ai cru entendre l'écho de la musique de John Downland, particulièrement la pièce intitulée "In Darkness Let Me Dwell" - et c'est plutôt bien les livres qui résonnent en nous, non ?

    extrait de Sur l'idée d'une communauté de solitaires, de Pascal Quignard :

     

    "Spinoza à la fin de Ethica rêve d'une communauté de rares, de difficiles, de secrets, d'athées, de dessillés, de lumineux, de luminescents, d'Aufklärer. Fonder un club antidémocratique fermé aux prêtres, aux magistrats, aux philosophes, aux politiques, aux éditorialistes, aux professeurs, aux galeristes. Il faut peut-être retourner à une diffusion plus solitaire et plus clandestine de l'œuvre d'art. Horror pleni, error pleni. Il faudrait mettre au point un moyen de montrer les œuvres comme jadis la musique savante à l'écart de la Cour. Comme jadis Sainte Colombe. Comme jadis Johann Jakob Froberger et les suites françaises. Comme jadis Esprit, La Rochefoucauld, Madame de Sablé, les portraits, les maximes, les fragments, les romans : à l'écart de Versailles et à l'écart du droit. Réserver une poche à la rareté quand elle est devenue extrême, une loge au cœur de la solitude, une crevasse à la non reproductibilité."

  • La carte postale du jour...

    "La raison sans les passions serait presque un roi sans sujets."
    - Diderot

    dimanche 29 mars 2015.jpg

    Je me souviens d'avoir regretté que les trois albums des Czars soient si imparfaits, parce que j'adore la voix de John Grant par dessus tout, mais parfois la musique ne collait pas, et puis hier, en passant chez mon disquaire, je trouvai ce magnifique double album Best of, contenant les titres essentiels du groupe - un miracle !

    Je me souviens bien d'avoir ressenti une forme d'extase mélancolique à l'écoute du titre Drug ; état similaire à l'écoute, des années plus tôt, de Last Night I Dreamt That Somebody Loved Me des Smiths (superbement dramatique) ou bien Afraid de Nico (triste et belle), et de me rappeler ces mots de Paul Valery qui disait que "La définition du Beau est facile : il est ce qui désespère".

    Je me souviens aussi que le fait d'être obsédé par Drug m'a longtemps tenu à l'écart d'autres titres des Czars (en dehors de l'album de reprises Sorry I made you cry que j'écoute toujours beaucoup), et que ce Best Of m'ouvre les oreilles aux magnifiques chansons que sont My Love, Roger's song, Anger, et, particulièrement, Side Effects, probablement la plus désespérée de toute, d'une beauté dévastatrice, avec son formidable texte, et la voix déchirante de John Grant, avec son timbre velouté de baryton, un vrai tire-larmes, comme j'aime...

     

    Do you know the heart?
    Do you know, that it can be destroyed?
    You can make it go away
    You can make it shrivel up and die

    Take a look at me
    Give me everything you've got
    If it's not enough
    Make me everything you're not

    It's just a side effect of loving you
    A nasty soundtrack to the city
    He says the effects will recover soon
    The situation is dire
    You know that he's a liar

    https://www.youtube.com/watch?v=ypEPTYGl_KU

     

    Quand je visite une ville, j'aime y (re)trouver ses disquaires et ses librairies, seul façon pour moi de "sentir" réellement le lieu où je me trouve. Par exemple À Porto j'ai vu une magnifique librairie qui se nomme Lello, bourrée de touristes ; son choix de livres était chaotique, mais pas dans le bon sens du terme. En effet, les tables proposaient des formats de poche (à l'emporter...) de quelques œuvres de Pessoa (pour touristes donc...) qui côtoyaient malencontreusement des livres de pêche sous-marine, de tricotage ou bien de la sous-littérature... la coque était belle, mais vide. Le succès de cette librairie l'a tuée peut-être ? Ou alors est-ce juste symptomatique d'une époque où on parle beaucoup de livres comme objet (de décoration) en oubliant que le plus important reste quand même la littérature. Heureusement je découvrais, en face d'un bar qui passait beaucoup de musique rock et où une lolita à frange lisait Marguerite Duras en fumant une cigarette dont elle soufflait élégamment la fumée, un magasin de disques phénoménal et pour le coup bien caché puisqu'il se trouve à l'arrière d'une petite galerie qui ne paie pas de mine (d'ailleurs je ne mettrais pas son nom ici pour le préserver un tant soit peu). Il offrait un splendide choix de disques, de plusieurs genres confondus, des magazines, des fanzines même, à des prix corrects et le vendeur qui se trouvait là était de bon conseil (j'ai ramené deux magnifiques galettes de vinyle avec moi). C'est un peu ce genre de lieu, magique, que propose ce guide historique signé Vincent Puente. Son titre un peu énigmatique - Le Corps des libraires - est une référence à un corps d'armée composé de libraires dont la première trace remonte à la comtesse d'Artois qui, lorsqu'elle voyageait, ne prenait que l'essentiel, dont ses livres, protégés et transportés par plusieurs libraires qui formaient ainsi un "corps". Ce livre recèle une multitude d'histoires similaires : du libraire enfermé dans son rayon après la vente de l'immeuble et sa réorganisation (!) en 2010, ou cet autre qui, obsédé par le feu qui avait ravagé sa première échoppe, met en place un monstrueux système de lance à eau et, pour le tester, demande à des criminels de mettre le feu sans lui dire quand - le pauvre est retrouvé après l'incendie, noyé dans l'eau après avoir reçu une grosse encyclopédie sur la tête au moment où le feu était bouté à sa librairie ! Ce livre abonde d'histoires incroyables sur des belles et vieilles librairies de part le monde, à différentes époques. Certaines existent encore, et cela donne des envie de voyage bien sûr. Mais Le Corps des Libraires n'est pas seulement un recueil d'adresses et d'histoires cocasses, c'est surtout un beau livre sur l'amour des livres, et de la littérature, et il est écrit dans une langue subtile et gracieuse. La trouvaille de l'année probablement !

    extrait du Corps des Libraires, de Vincent Puente :

    "Ceux qui aiment les livres ont souvent leurs habitudes dans des librairies dont ils conservent jalousement le secret.
     L'excellence de certaines d'entre elles leur a heureusement permis de sortir de l'anonymat ; ainsi La Maison des amis des livres d'Adrienne Monnier, Lello & Irmáo, Hatchards, ou bien encore les librairies de Stanley Rose et Louis Epstein.
     La plupart de ces institutions historiques n'existent plus.
     D'autres, grâce à leur originalité et au travail acharné des libraires qui y vivent, ont réussi à se faire connaître au-delà du cercle des initiés et entretiennent ardemment la tradition des grandes librairies de caractère.
     Parmi celles-ci, il en est trois dont tout un chacun a entendu parler au moins une fois, au point qu'indépendamment de leur richesse, elles font à leur corps défendant office d'arbre qui cache la forêt.
     La librairie du Poème inachevé, où par on ne sait quel prodige, il arrive qu'il pleuve des livres et des pages imprimées, à tel point que parfois clients et libraires doivent se réfugier sous la mezzanine pour se mettre à l'abri en attendant la fin de l'averse, a par exemple fait l'objet de nombreuse reportages dans la presse.
     De même, la librairie installée dans le cimetière de Lognes, où les livres sont agencés sur les pierres tombales et, les jours de pluie, dans un caveau choisi au hasard, et dont un des libraires est le sosie de Bela Lugosi.
     Enfin que dire de la librairie Kuu Koten' près de Kyoto, dont le nom pourrait se traduire par "les bibliophages", où un cuisinier préparera selon votre goût et devant vous le livre que vous avez choisi avant de vous le servir à déguster.
     Au-delà de ces passages touristiques obligés, il existe d'autres librairies remarquables dont la renommée n'a pas encore dépassé le monde confiné des amateurs. Elles sont habitées par des libraires qui dans l'ensemble n'ont que faire des sirènes de la gloire, ce qui passe pour un sentiment incompatible avec notre époque.
     Les libraires n'ont que faire de l'air du temps."