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Livre - Page 24

  • La carte postale du jour...

    "Rester un esprit vivant. Ne croire ni aux formules honorifiques ni aux fonctions. Vivre comme on éclaterait. Être de la jeunesse en action. Se foutre du monde et hurler."
    - Louis Calaferte, Situation (1991)

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    Je me souviens d'avoir découvert ce petit bijou de minimal-wave sur la compilation Bipp parue en 2008, qui regroupe des raretés de la scène française de 1979 à 1985, j'ai d'ailleurs tant aimé ce titre (que je passe à chacune de mes soirées) que je me suis rapidement mis en quête du 45tours original.
    Je me souviens bien d'avoir eu beaucoup d'estime pour Mary Moor quand j'ai découvert sa chanson C'est ma force, qui date de 2006 - enregistrée sous le nom de groupe Rose et Noir -, moins pour sa musique (électronique un peu cheap tout de même... et ne parlons pas de la pochette du disque, aïe!) que pour son texte qui se compose principalement de noms d'écrivains - mais aussi de musiciens -, Mary Moor hurlant ainsi ses références : Antonin Artaud, François Villon, Arthur Rimbaud, Jean Genet, Charlie Parker, Guillaume Apollinaire, Billie Holiday, Alexandre Pouchkine, etc. autant de munitions intellectuelles qui font palpiter mon cœur.
    Je me souviens aussi que toutes les personnes qui ont écouté le titre Pretty Day lors de mes soirées ont été d'abord intriguées puis rapidement conquises par cette musique minimale et suave à la fois, et ce texte nihiliste so eighties :

     mes yeux bleus dans tes yeux noirs
     c'est un beau jour pour mourir
     c'est un beau jour pour mourir
     mes yeux bleus dans tes yeux noirs
     c'est un beau jour pour mourir
     ni espoir ni désespoir
     si on s'aime pas, qui nous aimera ?
     si on s'aime pas, qui nous aimera ?

    https://www.youtube.com/watch?v=DOjnNGJDEIY


    Invité ce (prochain) samedi après-midi à une lecture sur une "mouette genevoise", ces petits bateaux qui traversent la rade du lac de Genève, j'ai longuement hésité sur le choix du texte, la durée de lecture étant très courte (10min) et les conditions particulières (eau, froid, bruit...). Mon choix s'est donc porté sur ce livre de Claude Louis-Combet qui retrace la relation incestueuse du poète Georg Trakl avec sa soeur, Gretl. Comme le disait Richard Blin à la sortie de ce livre, c'est un "hymne aux puissances nocturnes de l'amour". C'est aussi un livre où la phrase est travaillée avec soin, précision, style, le langage y est puissant et d'un érotisme souvent saisissant. J'aime aussi beaucoup les pages où Trakl part en guerre, on ressent celle-ci dans toute son horreur et son inhumanité, c'est celles-ci que j'ai choisies pour ma lecture (ça va être la fête...) ; le poète perdra la vie dès 1914, à la bataille de Grodek, la drogue aidant, alors que son souhait le plus cher était de mourir avec sa soeur, à qui il faisait prononcer en guise de derniers mots dans son poème Révélation et anéantissement : Blesse, ronce noire. C'est peut-être l'un des plus beaux livres de Claude Louis-Combet (avec Gorgô que j'adore aussi!!!).

     

    "Avant ces jours de guerre totale, il n'avait vu que très rarement des cadavres - et c'était, chaque fois, conformément aux rites et aux coutumes, des corps parés de leur meilleur vêtement, les mains jointes, la face apaisée dans la lumière des cierges. Peut-être était-ce même cette profonde paix d'absence qui l'avait amené à rêver d'une mort en commun - sa soeur et lui - à l'écart de toutes choses humaines, dans la nature, purement: un creux de montagne par exemple, dans lequel ils n'eussent pas été surpris par quelque accident, mais qui aurait été le lieu de leur attente et de leur ferveur, implorant le grand froid et la neige qui les recouvrirait. Il avait souvent, dans ses poèmes, évoqué l'image de la mort comme d'un recueillement, dans un sentiment ambigu d'arrachements aux vives couleurs du monde et de nostalgie de repos - un bienfait plutôt qu'un malheur - et comme d'une suprême expérience d'amour puisque, ensemble, la bien-aimée et lui-même, s'endormiraient, noués, s'enfonceraient dans l'inconscience, rendant, au même instant, leur dernier souffle. Tableau d'une béatitude intime qui avait nourri leur rêverie autant que l'appel de leur chair au plaisir sexuel."

  • La carte postale du jour...

    "Il y en avait, il y a dix ans, de ces choses qui m'intimidaient! La poésie concrète, Andy Warhol, et puis Marx et Freud et le structuralisme - et les voici envolés..., et rien ne doit plus oppresser quiconque si ce n'est le poids du monde."
    - Peter Handke, Le poids du Monde (1980)

     

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    Je me souviens quelle a été ma joie lorsque mon groupe d'alors - Danse Macabre - fut booké en première partie de Norma Loy, près d'Annecy, en 1992 je crois, et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un groupe plutôt distant (bon, la scène "dark" c'est pas non plus la croisière s'amuse...), qui ne ressemblait plus à celui que je connaissais - de la new wave burlesque, inspirée, décadente, ... -, mais tentait vaguement d'imiter les Doors, et puis je me rappelle aussi ce grand rocker tout de cuir vêtu qui vint me voir au bar après notre concert pour me jeter à la figure d'une voix de basse "ta musique c'est de la merde", éructation qui venait non pas de son cœur mais au moins de ses intestins, et qui mit fin à ma carrière sur scène quasi-instantanément.
    Je me souviens aussi d'avoir toujours été perturbé par l'utilisation du saxophone, surtout pour la musique post-punk/new wave, j'en trouvais en effet chez Siouxie (supportable), Siglo XX (acceptable), sur le super 45tours de Carol & Snowy Red Breakdown (convenable) et même chez les Italiens Diaframma et leur Joy Divisionesque album Siberia (recevable), mais encore aujourd'hui, c'est vraiment l'instrument maudit pour moi, allez savoir pourquoi...
    Je me souviens aussi d'avoir toujours été fasciné par cette reprise de L'Homme à la moto, son côté lugubre, son texte scandé avec une voix grave :

     Marie-Lou la pauvre fille l`implora, le supplia
     Dit: `Ne pars pas ce soir, je vais pleurer si tu t`en vas`
     Mais les mots furent perdus, ses larmes pareillement
     Dans le bruit de la machine et du tuyau d`échappement

     Il bondit comme un diable avec des flammes dans les yeux
     Au passage à niveau, ce fut comme un éclair de feu
     Contre une locomotive qui filait vers le midi
     Et quand on débarrassa les débris...

    Avant de partir à Rome, et pour ne pas toucher aux trois livres que j'emporte en voyage (Landolfi, Andritch et Gheorghievski), j'ai décidé de relire en vitesse cet Ultime entretien de Pasolini. Et une fois encore, c'est impressionnant de constater à quel point l'esprit d'analyse de Pasolini est brillant. Comme Clouscard dès les années 70 avec sa critique du libéralisme libertaire, Pasolini dénonçait lui aussi le consumérisme hédoniste et la corruption des consciences, dix ans avant que cette réalité ne s'installe véritablement, pour durer encore d'ailleurs. C'est vraiment un petit livre puissant, à relire régulièrement ; à noter aussi la sortie du film Pasolini d'Abel Ferrara, et puis l'un des plus beaux titres underground dédiés à l'écrivain italien, Ostia (The death of Pasolini) de Coil. Mais je m'égare...

     - Pourquoi penses-tu que pour toi, certaines choses soient tellement plus claires ?

      - Je voudrais arrêter de parler de moi, peut-être en ai-je déjà trop dit. Tout le monde sait que mes expériences, je les paie personnellement. Mais il y a aussi mes livres et mes films. Peut-être est-ce moi qui me trompe. Mais je continue à dire que nous sommes tous en danger.

     - Pasolini, si tu vois la vie de cette manière - je ne sais pas si tu accepteras de répondre à cette question - comment penses-tu éviter le danger et le risque ?

     Il s'est fait tard, Pasolini n'a pas allumé la lumière et il devient difficile de prendre des notes. Nous revoyons ensemble mes notes. Puis il me demande de lui laisser les questions.
     
     - Certains points me semblent un peu trop absolus. Laisse-moi y penser, les revoir. Et puis laisse-moi le temps de trouver une conclusion. J'ai quelque chose en tête pour répondre à ta question. Il est plus facile pour moi d'écrire que de parler. Je te laisse les notes supplémentaires pour demain matin.

     Le lendemain, un dimanche, le corps sans vie de Pier Paolo Pasolini était à la morgue de la police de Rome.

     

  • La carte postale du jour...

    "Le vide produit le froid et le froid me hérisse de glaçons. Le souffle du printemps, la chaleur des affections, redonnerait à mon sang la circulation, à mon âme l'espérance, à mon imagination la verve, à tout mon être l'élan."
    - Henri-Frédéric Amiel, Journal intime, Samedi 12 février 1853

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    Je ne me souviens pas trop comment je suis tombé sur L'Avenir, mais dès que j'ai vu que cet artiste - Jason Sloan - était originaire de Baltimore, la ville du cinéaste John Waters que j'adore, mon intérêt à grandi, et lorsque j'ai vu une photo du musicien affublé d'un t-shirt The Cure période A Forest, et que j'ai écouté sa reprise de Truth de New Order, alors j'ai su que nous étions faits l'un pour l'autre (façon de parler).
    Je me souviens bien qu'outre l'influence mélancolique et froide de The Cure des (meilleures) années 80-81 (Seventeen seconds, Faith), j'ai trouvé dans la musique de L'Avenir des réminiscences fortes de Kraftwerk (RadioAktivität, Spiegelsaal), d'Orchestral Manoeuvres in the Dark (Statues, Seeland) et aussi de Nine Circles (pour les fins connaisseurs de bonne minimal-wave).
    Je me souviens aussi d'avoir été véritablement épaté par l'utilisation d'une myriade de synthés vintage pour cet enregistrement publié sur un beau vinyle blanc, et que dès le début de The Wait et son titre introductif, Umbra, je me suis senti happé dans cet univers froid et triste, très minimal, très vague...

    https://soundcloud.com/belaten/lavenir-aral-sea-1

    Adorno a déclaré qu'"Après Auschwitz, écrire de la poésie est barbare", ce à quoi a répondu le facétieux écrivain hongrois Imre Kertesz : "je nuancerais, toujours en termes généraux, en disant qu’après Auschwitz, on ne peut plus écrire de poésie que sur Auschwitz". Me vient alors cette question : après Vassili Grossman et Varlam Chalamov, peut-on encore écrire sur les goulags et la Grande Terreur ? Evidemment oui, et cela, Olivier Rolin l'a bien compris, lui qui est passionné par la Russie depuis les années 80 (je me remémore avec plaisir son livre de 1987 sobrement intitulé En Russie - inspiré du récit publié plus de cent ans auparavant par le Marquis de Custine -, livre où Rolin donnait une poétique description de l'empire soviétique avant qu'il ne s'effondre quelques années plus tard).

    À la fin des années 2000, Olivier Rolin se rend sur les îles Solovki, tristement connues pour leur goulag, il en ressortira un film documentaire pour ARTE (La bibliothèque perdue des Solovki - très bien d'ailleurs), un livre de photos, et ce livre sur l'un des détenus, un homme dont, comme le dit l'auteur, le "domaine, c'était les nuages". Le Météorologue est donc un récit-biographique, celui d’Alexéï Féodossévitch Vangengheim, victime de la Grande Terreur stalinienne (1937-1938). Rolin en tire un portrait magnifique (les dessins qu'envoyait Vangengheim à sa fille, reproduits en fin d'ouvrage) et triste (dans presque chaque lettre il dit à quel point il ne perd pas  confiance dans le parti), et rejoint Patrick Deville et Emmanuel Carrère dans le genre bio-fiction très réaliste, menée comme une enquête policière, quoique savamment romancée, parfois même poétisée. C'est beau, même si ça reste tragique. Un livre d'importance, sans aucun doute, parmi les meilleurs sortis cette année sur ce sujet, avec La Limite de l'Oubli de Sergeï Lebedev. Voici un extrait qui me semble représentatif de ce livre d'Olivier Rolin :

    "Pourtant, son innocence, il la proclame de nouveau, revenant sur ses faux aveux. "Pour un vrai coupable, ce genre de démarche ne pourrait s'expliquer que par l'idiotie et la folie." Je pense que c'est cette perversion-là surtout qu'il désigne quand il met en cause "la méthode des interrogatoires" : une brutalité logique plutôt que des brutalités physiques, une inversion angoissante du vrai et du faux. C'est ce qui rend émouvants ces textes : on y voit un homme, en se débattant, s'enfoncer dans les sables mouvants. Et il y a tout de même, à côté de beaucoup de confusion, de méandres, de répétitions tâtonnantes, des phrases qu'on n'est pas habitué à lire dans les documents soviétiques de ces années-là, et qui montrent qu'il ne rentre décidément pas dans le rôle de saboteur-espion repenti qu'on veut lui faire jouer, qu'il a endossé dans un moment de faiblesse : "Les innocents arrêtés font dans la plupart des cas de faux aveux", "il existe inévitablement nombre de cas où des innocents ont été accusés tandis que de vrais criminels échappaient à la justice". Émouvante aussi est la conscience qu'il a que sans doute la partie est perdue : "Il est bien possible que mes forces soient insuffisantes pour venir à bout de l'ordre des choses établi depuis des années." Et il termine en latin : Feci quod potui, faciant meliora potentes, "J'ai fait ce que j'ai pu, que ceux qui peuvent fassent mieux" (phrase qu'on trouve dans la bouche de Koulyguine, le mari de la Macha des Trois Sœurs). "Ma conscience est pure." "

     

  • La carte postale du jour...

    "La conscience, c'est le chaos des chimères, des convoitises et des tentations, la fournaise des rêves, l'antre des idées dont on a honte; c'est le pandémonium des sophismes, c'est le champ de bataille des passions."
    - Victor Hugo, Les Misérables (1862)

     

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    Je me souviens d'avoir découvert ce groupe par le magazine anglais WIRE, d'avoir eu un frisson de plaisir à l'écoute de Holt, Jarmara dont le son post-punk tribal m'a rappelé tour à tour A Certain Ratio (des débuts), Violent Femmes, 23 Skidoo, Pop Group, et, surtout, Shock Headed Peters, le groupe du bucheron de la basse Karl Blake qui, avec son premier album Not Born Beautiful signait en 1985 la quintessence d'un post-punk affranchi de toute mode, de tout genre, d'une inquiétante beauté et d'une élégante étrangeté. (J'en profite pour dire à quel point je suis parfois désolé - désolé dans le sens de la déception, mais en plus fort, plus énervé aussi - par tous ces groupes vendus comme post-punk depuis une douzaine d'années mais qui sonnent le plus souvent comme de la new wave FM, rappelant le pire de Simple Minds, Duran Duran et Tears For Fears réunis, et qu'on aimerait nous vendre comme du Joy Division, du Wire ou du Public Image Ltd!)
    Je me souviens bien que cet album de The God In Hackney - Cave Moderne - est rapidement entré dans mon top ten des pochettes les plus moches, à tel point que, l'ayant laissé trainé sur le sol du salon, ma copine eu un choc, une frayeur véritable, en tombant dessus un matin, au réveil, et me demanda par la suite "c'est quoi cette horreur?!". (Ringo Starr dans sa période hippie?)
    Je me souviens aussi d'avoir été très intéressé par la démarche du groupe, parce que leur approche relève de la performance, proche des arts plastiques, donnant par exemple un concert de huit heures non-stop au Centre Pompidou, le fait aussi que ses quatre musiciens, tous issus d'autres formations musicales, résident chacun dans des endroits différents - Los Angeles, New York, Brighton et Londres -, et puis l'absence de "buzz" autour de The God In Hackney joue son rôle, pas d'effet de mode, l'aura et l'intrigue restent entières, et puis l'album est excellent, particulièrement Holt, Jarmara, dont le texte est si incompréhensible que je ne peux le le retranscrire ici, mais voici le lien pour l'écouter, c'est déjà ça :

    https://soundcloud.com/junioraspirin/the-god-in-hackney-holt

     

    Lucien Polastron propose en 234 pages Une brève histoire de tous les livres, en passant par sa bibliothèque - pardon : ses trois bibliothèques - comme l'avait fait Walter Benjamin dans son Je déballe ma bibliothèque, comme l'a fait dans plusieurs ouvrages Alberto Mangel, plus récemment Cécile Ladjali avec Ma bibliothèque - Lire, écrire, transmettre, ou encore le truculent La traversée des plaisir de Patrick Roegiers. Mais alors qu'on pourrait s'attarder des heures durant dans sa vaste collection, et son érudition non moins grande, Lucien Polastron nous donne une merveilleuse leçon d'histoire pour tout savoir de l'écrit : comment il fut conserver, commet il se déplaça, évolua, jusqu'à devenir ce que nous tenons aujourd'hui dans nos mains - un livre relié (ou broché). Chercheur spécialisé dans l'histoire du papier, Lucien Polastron maitrise l'anecdote à la perfection, ce qui donne beaucoup de charme à ce livre, et il se laisse volontiers aller à l'ironie, voir la critique acerbe de la (fausse) "révolution" numérique actuelle. Au contraire de la musique, qui a fait son retour (et je parle ici du retour sous forme "physique", dans les magasins) sous la format vinyle, avec de (plus ou moins) belles pochettes grand format, le livre n'est pas prêt de "partir", toutefois le public se tourne de plus en plus faire de belles éditions, de beaux objets, des éditeurs innovants et / ou facile à suivre - au design reconnaissable, tout autant qu'à la confiance que l'on peut apporter à leurs choix en littérature, comme Allia, Verticales, POL, Minuit, Bourgois, Corti, Verdier, etc. - et aussi (surtout ! serais-je tenté de dire) vers de bons textes. Qui n'a en effet jamais été tenté d'acheter un livre simplement parce qu'il était orné d'une peinture de Munch, Redon, ou Böcklin ? moi cela m'est arrivé, et j'ai parfois découvert d'excellents textes, mais j'ai été aussi déçu, parfois clairement trompé sur la marchandise...
    J'aime beaucoup ce passage sur les couvertures des livres, même si la plupart du temps je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'auteur (il faudrait peut-être lui expliquer que le digital, le numérique n'est pas dénué de graphisme, et que la sobriété n'est pas forcemment une uniformisation ou un nivellement, mais c'est aussi un style en soi - jamais entendu parlé du Bauhaus cocolet?), Lucien Polastron est en effet trop pessimiste, trop "vieux-ronchon", il est comme c'est gens qui critiquent la littérature contemporaine sans la lire, il est peut-être trop (intentionnelement?) détaché des jeunes générations qui prisent tout autant les livres et le vieux papier, il faudrait peut-être qu'il lise plus François Bon, allez savoir...

    "Par-dessus le marché mais pas seulement en France, cette dernière mouture finit par adopter une vicieuse tendance à l'uniforme et au nivellement, dérive que l'on pourrait qualifier de livredepochienne, comme si chaque publication cherchait à passer inaperçue, tandis que les prix grimpent en proportion inverse du tangible apporté : à 35 euros le Pynchon, par exemple, étonnez-vous que les pauvres ne lisent plus ! Au moins a-t-on quelquefois pour le prix d'un roman une couverture alléchante et illustrée d'un joli paysage ou d'un bikini garni, comme c'est de plus en plus souvent le cas, quitte à fourvoyer minablement l'acheteur potentiel.
     (Mais jamais autant que le fit la couverture fantasmagorique accolée aux Chants de Maldoror par une publication vendue dans les halls de gare - est-ce pensable ? - vers 1960 et qui dévoya, mieux que n'aurait jamais pu faire la respectable version Corti de 1953, bien des jeunes gens épris de fantastique bon marché, vers des chemins d'où ils ne revinrent jamais (il parait qu'aventure approchante était déjà arrivée à Philippe Soupault qui, lui, tomba sur cette œuvre alors presque totalement inconnue, au rayon "mathématiques" d'une librairie-papeterie du boulevard Raspail).)
     Embarcadères du rêve et du désir, les couvertures, donc bonnes ou mauvaises, il va falloir s'en déprendre aussi : la numérisation les rend inutiles puisqu'il n'y aura plus grand-chose à promettre ni à cacher. D'ailleurs la plupart des grandes maisons d'édition du siècle dernier, à l'instar de leurs dignes prédécesseurs, avaient déjà opté pour une homogénéisation muettes des façades, habillant aussi bien les mémoires de la majorette que les vaticinations du philologue avec une même couleur maison, tout en se partageant confraternellement le peu de spectre disponible : à Grasset le pastis presque pur, à Minuit le blanc azyme, à Gallimard le beurre frais, etc. Le tout en vrac dans un sac de la Fnac, couleur moutarde-écrasée."

     

  • La carte postale du jour...

    "Certains spectacles m'affligent encore. D'autres, non. Certaines morts. D'autres, non. J'ai l'air d'être au bord du sanglot, mais rien ne vient. Il faut que j'aille chez le régleur de larmes."
    - Antoine Volodine, Des Anges Mineurs

     

    jeudi 25 décembre 2014.jpg

     

    Je me souviens d'avoir d'abord eu un avant-goût de cet album de Current 93 avec le split 45tours sorti début 2000, composé pour une face de la superbe chanson Immortal Bird, et de l'autre - le but d'un "split" (et comme son nom l'indique bien en anglais) étant de proposer au moins un groupe différent par face - du non moins beau Cripple And The Starfish d'Antony and the Johnsons ; puis, lorsque l'album Sleep Has His House fut publié, j'eus la chance d'inviter son créateur, David Tibet, à se produire en Suisse, demande cautionnée par le duo Sorrow - Rose McDowell et Robert Lee -, invités l'année précédente, qui conseillèrent vivement à David et son collaborateur de génie Michael Cashmore de venir se produire dans mon cycle de soirées "folk noir" qui avait lieu annuellement dans la salle des Chevaliers du château de Grandson, près d'Yverdon ; après l'accord du chanteur, et dès le 1er juin 2000, je mis en vente 140 billets qui trouvèrent preneur en à peine deux jours (un couple new-yorkais comptait même faire le voyage pour ce concert!), puis le temps passa tranquillement, sans nouvelles de Current 93, jusqu'à fin août et un mail de la petite amie de David à cette époque, la sympathique Andria Degens (l'ancienne secrétaire de Nick Cave à ce qu'on m'avait laissé entendre, musicienne aussi), qui m'informa que le chanteur se trouvait entre la vie et la mort après une hémorragie due à une crise d'appendicite aiguë (David habitait seul avec des dizaines de chats, sans téléphone, son corps fut ainsi découvert deux jours après la crise...). Il a heureusement survécu, le concert n'a jamais eu lieu (merci à Backworld d'avoir accepté de prendre le relai dans l'urgence - super concert!), mais chaque fois que j'écoute ce disque (dédié au père de David mort cette année-là), je repense toujours à ce moment étrange, comme si l'année 2000 n'avait été que la succession d'une joie immense et d'une détresse abyssale...
    Je me souviens bien d'avoir toujours lu intensément les notes figurant dans les livrets accompagnant les disques de Current 93, toujours surpris de la longueur de ses textes, mais aussi de ses remerciements, toujours riches en personnalités que j'adorais particulièrement à cette époque, et qui furent parfois des collaborateurs du groupe, ça me donnait l'impression de pouvoir mettre la musique en contexte, et même d'en avoir en quelque sorte la recette.
    Je me souviens aussi d'être revenu vers Sleep Has His House lorsque j'entendis la reprise d'Immortal Bird par le groupe Leisur Hive (collaborateur de Cindytalk en concert), puis à cause du succès d'Antony en 2005 (j'ai profité pour faire quelques sous en revendant mon 45tours limité), et décidément - j'adore cet album, son harmonium à la Nico, son ambiance triste et étrange à la Coil (je crois y entendre parfois des échos de leur chanson Ostia, the death of Pasolini), son texte beau et énigmatique....

    "What drives us on?
     What drives us on?

     I left something of myself in you
     Fourscore, twenty, thirty
     In your body and in your flesh
     In your vault of skin
     I was nothing for you
     But the shadow of another love
     That one day for you
     Would shift the skies
     To pastures blue
     Streaked with passing and loss
     Tortoise green in my eyes
     From the moss of my past
     You arise"

    Très récemment j'ai lu un texte de David Bosc qui explique "qu'il y a sans doute un peu de ruse à choisir un grand personnage, une figure de l'Histoire, pour ne parler en définitive que de ce nous aimons chez le premier venu". C'est un peu ce qui se passe avec ce livre d'Henri Raczymow dont je découvre ainsi les écrits pour la première fois. Notre cher Marcel est mort ce soir relève de ce que l'on appelle une fiction biographique, qui décrit avec soin et de nombreux détails - et un certain humour -, les derniers mois de Proust, comme l'avaient fait avant lui Jean Echenoz et son excellent Ravel, ou David Bosc et sa Claire Fontaine, nous éclairant lui sur les dernières années de Courbet en Suisse Romande. C'est donc un Proust souffrant que l'auteur nous dépeint, un écrivain fatigué, hanté par son œuvre, maniaque aussi, qui fustige son éditeur, Gaston Gallimard, car on ne trouve pas son livre en devanture des librairies, jalouse les ventes supérieures d'autres auteurs de la NFR, entretient un jeune amant insupportable, et, surtout, un Proust qui a une peur désarmante de ne pas pouvoir finir son grand livre à temps... alors oui, ça sent la poussière et la sueur de l'homme malade, ça tousse et ça râle dans ce petit livre, Henri Raczymow ne choisit pas de rendre Proust plus proche de nous bien qu'il nous fasse pénétrer dans l'intimité de sa chambre et la cathédrale de son esprit, non, il nous le rend comme il est : une véritable icône littéraire, et c'est bien.

    "En attendant, loger au Ritz ? Trop bruyant. On entend les téléphonages, l'eau des bains couler, les coliques des uns, les pipis des autres. Jacques Porel lui propose un appartement au quatrième étage de l'hôtel particulier de sa mère, 8 bis, rue Laurent-Pichat, près de l'avenue Foch, non loin du Bois hélas, d'où rhume et fièvre des foins à la clé. L'actrice occupe le deuxième étage, son fils chéri le troisième avec sa jeune épouse et leur bébé âgé de quelques mois ; le quatrième est en principe réservé à la fille, Germaine, mais celle-ci en Amérique, le voici disponible. Un hideux meublé, mais c'est en attendant mieux. Cet appartement se révèle au moins aussi bruyant que le Ritz, en moins confortable, et tout aussi cher. Là aussi, les cloisons semblent minces. Les voisins font l'amour tous les jours avec une frénésie dont Proust est jaloux. La première fois, il a cru à un assassinat. Mais il a dû se rendre à l'évidence. Il aurait préféré, tout compte fait, un assassinat. C'est toujours embêtant d'être exclu d'un bonheur."